Rencontre avec Pierre-Olivier Sur
Pierre-Olivier Sur est avocat pénaliste. Bâtonnier du barreau de Paris de 2014 à 2015 et ancien Secrétaire de la Conférence (1990), il est professeur à l’Ecole de Formation du Barreau et à Sciences Po. La Revue des Juristes de Sciences Po a eu la chance de le rencontrer pour échanger autour de la situation de la Justice en France et des politiques pénales actuelles.
La place de la justice dans la dernière campagne présidentielle
La campagne présidentielle a été émaillée par des affaires judiciaires qui, aux yeux de nombreux observateurs, ont entaché les débats de fond, quel regard portez-vous sur de telles procédures ?
On ne peut être satisfait du traitement des candidats par la Justice. S’il ne doit pas y avoir de trêve judiciaire pour les candidats aux élections, il apparaît en revanche nécessaire que ces derniers puissent bénéficier des garanties offertes à tout justiciable.
En particulier, la reproduction des 19 procès verbaux de l’affaire Fillon dans la presse nationale représente une violation grave du secret de l’instruction, garantie procédurale essentielle exprimée à l’article 11 du Code de Procédure Pénale.
Si chaque candidat devrait à mes yeux ne bénéficier d’aucun traitement de faveur, aucune parenthèse ou moratoire du fait de la campagne, il est en droit d’exiger du Parquet en particulier le bénéfice le plus absolu du secret de l’enquête et de l’instruction. Si ce secret est violé, la justice perd sa neutralité. On peut ainsi en vouloir aux services du parquet, de l’enquête et au juge d’instruction pour ne pas avoir été en mesure de garantir ce secret, et c’est ce qui a fait assister à ce carambolage ubuesque.
De manière plus globale, êtes-vous satisfait de la place prise par la justice dans le débat présidentiel? Les mesures très concrètes que vous avez formulées il y a encore quelques mois vous semblent-elles avoir été enfin entendues en vue de réformes structurelles ?
Là encore, on ne peut être satisfait de la manière dont les candidats ont traité la Justice : elle n’est pas au cœur des débats comme cela devrait l’être. La France traverse une période où les fonctions régaliennes de l’État doivent être renforcées. La Justice a longtemps été délaissée et mérite qu’on se penche un peu plus sur son devenir.
Il s’agit d’abord d’une question budgétaire : en France, le budget qui lui est consacré par habitant est deux fois moins important que celui du Royaume-Uni par exemple, et notre pays est parmi les plus mal classé des grandes démocraties occidentales sur les questions de Justice.
La période actuelle commande un progrès historique et déterminant : le budget de la Justice doit être augmenté de 2,5 milliards d’euros. Il est aujourd’hui de 8 milliards d’euros, soit 2 % du budget de l’État. Ces ressources sont indispensables pour augmenter la capacité des prisons, embaucher de nouveaux magistrats ou encore améliorer le fonctionnement de l’accès au droit.
La situation de la justice pénale
Vous évoquez la situation des prisons. En ce sens, vous avez prononcé il y a quelques mois un discours remarqué à l’Assemblée Nationale, à l’occasion des 35 ans de l’abolition de la peine de mort. Dans une période aussi troublée, comment dépasser la tentation du tout carcéral et œuvrer pour une politique pénale plus efficace et tournée vers la réinsertion?
Il semble qu’en France la situation n’ait plus évolué depuis Surveiller et Punir (1975) de Michel Foucault. Le droit pénal se définit en premier lieu comme un droit sanctionnateur et le dénominateur de la sanction est la prison. C’est donc la prison qui, par transitivité, reste « le tige guide » de notre politique pénale, de nos réflexes au pénal.
Des efforts apparaissent nécessaires pour dépasser cette logique. Les avocats ont eu une « vieille ennemie », la peine de mort. Une autre ennemie semble s’être dessinée à mes yeux : la prison. Il n’est pas question ici de suppression ou d’abolitionnisme, mais la prison devrait être ravalée à un strict minimum, constituer une vraie norme d’exception en matière pénale. La construction de 12 000 places de prison supplémentaires est nécessaire pour remédier à la surpopulation carcérale mais ces places doivent seulement servir à traiter la vraie délinquance pénale.
Au delà, lorsqu’elle constitue la réponse pénale, elle doit s’accompagner d’un suivi rigoureux rendant la trajectoire de celui qui est passé par la délinquance et qui doit aller vers l’amendement à la fois plus traçable et plus humaine.
On ne doit plus envisager la prison simplement dans une logique d’enfermement. Pour être davantage rédemptrice que criminogène, la prison doit s’accompagner d’un suivi à visage humain. Il faut individualiser, faire en sorte que la réponse soit humaine et non pas mécanique : ce n’est pas un ordinateur qui juge mais un homme ou une femme qui est chargée de cette réponse pénale. Il s’agit donc d’élaborer une politique de suivi qui ne fera plus du “carcéral” le guichet unique de la sanction, mais de “l’amendement” le but de la Justice.
Dans ce contexte assez général affectant l’institution judiciaire, quelle place occupe le droit et la justice pénale ? Comment appréhender les récentes évolutions qui le touche, et notamment la nouvelle place laissée à la négociation par la loi Sapin II ?
S’il n’a pas la place d’autres droits en termes de poids économique et d’influence, le droit pénal concentre les émotions : il est le cœur qui bat au milieu du système juridique, de l’ordre judiciaire.
Il connaît en effet de profondes mutations aujourd’hui. L’influence de la Common Law, et avec elle le développement de la compliance et de la transparence, apparaît porteuse d’un profond changement de paradigme. En ce sens, la loi Sapin II nous amène vers une obligation ex ante de participer à un devoir de vérité au sein de l’entreprise pour que la conformité soit totale et pour éviter évidemment que des poursuites se justifient ex post.
Or, la vérité a longtemps occupé une place réduite dans notre droit : il y a dans notre culture dite romano-germanique une tendance extrémiste et –oserons-nous dire– romantique, qui soutient que l’avocat aurait tous les droits. On peut ici remarquer que le mot vérité ne figure que marginalement dans le Code Pénal ou le Code de Procédure Pénale. Le sophisme du droit de mentir de l’avocat serait donc fondé sur une proposition principale : le mot « vérité » ne figure ni dans les serments de l’avocat, du magistrat ou du juré, ni dans la définition de l’intime conviction. La personne poursuivie ou poursuivante, quant à elle, est purement et simplement dispensée de serment, de telle sorte qu’elle aurait le droit de mentir et son avocat aussi, lui qui, par sa fonction, en porte la parole. A l’inverse, en droit anglo-américain, tous les acteurs, avocats et magistrats, témoins, victimes et personnes poursuivies, jurent de dire « la vérité » et ils seront parjures s’ils ne tiennent pas cette promesse.
L’influence de la Common Law, accompagnée de ce besoin de vérité, sinon de transparence, renvoient aujourd’hui les effets de manche de l’avocat menteur aux gravures de Daumier. Si bien que l’avocat est amené à devenir, en France aussi, un acteur essentiel de la vérité judiciaire : l’avocat s’est transformé, d’un défenseur qui a tout les droits y compris celui de mentir, en un conseiller qui a tous les devoirs et d’abord celui de participer à la vérité.
L’état et la protection des contre-pouvoirs en France
Les garanties apportées à l’indépendance des magistrats, avocats et journalistes semblent pérennisées par des amendements à la loi relative à l’état d’urgence, en plaçant leurs locaux à usage professionnel hors de portée des perquisitions administratives. Pourtant, peut-on effectivement dire que les garanties apportées ces dernières années progressent ? Plusieurs décisions récentes ont fait dire à certains que le respect du secret client-avocat avait été entamé, partagez vous cette opinion ?
Durant mon bâtonnat, nous avons fait progresser la défense des libertés publiques en dénonçant les incursions des juges via les écoutes téléphoniques et les perquisitions, car le balancier était allé trop loin. Le secret professionnel, ce n’est pas le secret des avocats, c’est celui de nos clients, soit le secret des secrets. C’est donc un maillon de la chaîne des libertés publiques que nous devons sauvegarder. En ce sens, la pratique « des perquisitions à filet dérivant » me semble particulièrement dangereuse. Je suis allé voir le président de la République pour dénoncer ces écoutes et dérives.
Il faut continuer à mener ces combats. La censure d’une écoute téléphonique entre Maître Thierry Herzog, alors avocat de Nicolas Sarkozy, et son bâtonnier par la Cour de cassation apparaît en ce sens heureuse et forte d’une importante portée symbolique.
Propos recueillis par Hugo Pascal
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