La Proposition de Loi Sapin III : un outil efficace pour la France en matière de lutte contre la corruption ?

Par Laetitia Giannoni, étudiante en première année du master Droit Économique de Sciences Po

Selon l’Index de Corruption réalisé chaque année par l’Organisation Non-Gouvernemental Transparency International, la France se positionne à la 22ème place[1], en recul par rapport à 2018 où le pays se plaçait 21ème. Cette régression, bien que minime, démontre une insuffisance législative des mesures anti-corruption du pays prises par les gouvernements successifs. A cet égard, on peut penser notamment à la loi Sapin II.

Promulguée en décembre 2016 et entrée en vigueur le 1er juin 2017, cette dernière repose sur trois piliers qui ont vocation à développer des instruments visant à contrer la corruption et les atteintes à la probité. Ces trois piliers sont : l’implantation de transparence dans le processus d’élaboration des décisions publiques et dans la vie économique avec un répertoire public des représentants d’intérêts, la création de l’agence française anti-corruption (AFA) visant à renforcer l’arsenal répressif du pays, et enfin la diversification de l’économie en assurant une meilleure protection des investisseurs[2]. Avec la création de l’AFA, la loi a instauré un régime de protection pour les lanceurs d’alerte ainsi que pour les personnes morales ou physiques pouvant faire l’objet d’une alerte qui se révélerait infondée. De plus, la loi a institué un nouvel instrument, exporté du système judiciaire américain, la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), la version française du Deferred Prosecution Agreement. L’objectif des CJIP est « d’éteindre l’action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s’est engagée dans la convention »[3]. Ces obligations peuvent consister d’un versement d’amende, de mise sous contrôle de l’AFA, et/ou d’un dédommagement de la victime. Les acteurs assujettis à la loi Sapin II sont les entreprises employant au moins 500 salariés et les sociétés appartenant à un groupe employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros.

Malgré les mesures modernes et révolutionnaires de la loi Sapin II, le classement actuel de la France sur l’Index de Corruption illustre le besoin présent de revisiter les mesures anti-corruption. Afin de déterminer les lacunes de cette législation, les députés Raphaël Gauvin (LaREM, Saône-et-Loire) et Oliver Marleix (LR, Eure-et-Loir) ont conduit en décembre 2020 une mission d’évaluation de la loi Sapin II. Celle-ci a abouti au regroupement de 50 recommandations qui ont données suite à la proposition de loi Sapin III[4]. Adoptée le mercredi 17 novembre 2021 après amendements en première lecture à l’Assemblée nationale, par suite de l’engagement de la procédure accélérée sur le texte le 25 octobre 2021, la proposition de loi Sapin III étend les acteurs assujettis aux obligations anti-corruption en ajoutant des critères : sont aussi concernés les filiales de groupes étrangers localisées en France et les acteurs publics. Également, la loi se positionnerait sur trois grands axes que cet article couvrira : la consolidation des obligations anti-corruption, l’amélioration des procédures de justice négociées, ainsi que le renforcement du statut des lanceurs d’alerte.

A. Consolider les obligations anti-corruption

La proposition de loi Sapin III promulguerait des dispositions relatives à la lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité. Ces dispositions viendraient consolider les obligations anti-corruption déjà établies par la loi Sapin II. L’article 1 de la proposition de loi Sapin III clarifie la distribution des rôles entre l’AFA et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)[5].  L’AFA transfèrerait ses fonctions de conseil et de contrôle pour les acteurs publics, comme les collectivités territoriales et administrations publiques, à l’HATVP. La loi Sapin III affirmerait, ainsi, le rôle de coordination administrative et de programmation stratégique de l’AFA, en plus de ses pouvoirs de conseil, contrôle et sanction des acteurs économiques. S’agissant de la l’HATVP, la loi Sapin III lui attribuerait des pouvoirs de sanctions administratives notamment en matière de prononcés d’amendes, lesquelles pourraient aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires ou 50% des dépenses engagées pour mettre en œuvre les actions de représentation d’intérêts concernées[6]. De plus, en addition du référentiel applicable aux acteurs économiques de l’article 17 de la loi Sapin II, la loi Sapin III instaurerait aussi un référentiel relatif aux acteurs publics[7]. Le contrôle du secteur public est renforcé avec la consolidation du registre des représentants d’intérêts. Cette consolidation se manifeste avec le renforcement des obligations auxquelles sont soumis les représentants d’intérêts, ainsi que la clarification de la définition du représentant d’intérêt déterminé sur l’activité de la personne morale et non sur celle des personnes physiques qui la composent.

Ainsi, la loi Sapin II et la proposition de loi Sapin III consolideraient les obligations anti-corruption sur le plan privé et public. Avec deux autorités consacrées au combat contre la corruption et aux atteintes à la probité, la loi Sapin III favoriserait une plus grande efficacité des mesures règlementaires anti-corruption, et en conséquent, permettrait de remonter la position de la France dans le classement de l’Index de Corruption.

B. Améliorer les procédures de justice négociée : la CJIP

La loi apporterait une amélioration de la CJIP sur plusieurs points. Tout d’abord, elle faciliterait un renforcement des droits de la personne morale au cours de la négociation des CJIP pour favoriser la révélation spontanée de faits de corruption en assouplissant les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales[8]. Ce renforcement se traduirait aussi à travers la possibilité de nomination d’un mandataire ad hoc ou d’un comité spécial, en fonction de la taille de l’entreprise, pour représenter la société pendant les négociations dans l’objectif d’éviter d’éventuels conflits d’intérêts[9]. De surcroît, l’implémentation de nouvelles protections des documents et informations transmis par la personne morale au cours de la période de négociation s’inscrit dans la logique de favoriser le recours à la CJIP. L’article 7 de la proposition de loi Sapin III procure aussi un affermissement de droits, seulement pour les personnes physiques, avec la création de six articles ainsi qu’un nouveau titre dans le code de procédure pénale prévoyant des prérogatives telles que la possibilité aux personnes soupçonnées de consulter le dossier et d’être informées de la clôture de l’enquête[10]. D’autre part, la loi présenterait une étendue des infractions sanctionnées avec recours à la CJIP en incluant le délit de favoritisme[11]. Cet élargissement du périmètre de la convention permet de favoriser le recours à ce moyen de résolution des litiges tout en réduisant la charge de travail de la justice qu’engendre le traitement de ce type de dossier. C’est précisément pour cette raison qu’en 2016 les Deferred Prosecution Agreements ont été exportés en France sous la forme des CJIP. Ainsi, la proposition de loi Sapin III apporte les modifications qui ont été constatées nécessaires à travers les nouveaux CJIP conclus depuis l’arrivée de ce dispositif.

Une procédure de recours efficace à la CJIP permettrait à la France d’augmenter sa capacité de combattre la corruption et les atteintes à la probité, tout en lui permettant de remonter sa position de celle-ci dans le classement de l’Index de Corruption.

C. Renforcer le statut des lanceurs d’alerte

La proposition de loi Sapin III intensifie le régime de protection des lanceurs d’alerte en partant de la base : une révision de la définition du lanceur d’alerte[12]. La nouvelle définition étend le nombre de personnes chargées de détecter et prévenir des faits de corruption ou d’atteintes à la probité. De plus, le lanceur d’alerte aurait le choix entre le signalement interne ou externe. Le signalement interne serait facilité par la mise en place d’un dispositif d’alerte interne par l’entreprise. Le signalement externe, ou divulgation publique, resterait cependant limité à certaines situations précises. Plus au-delà, la proposition de loi intègre en ajout une liste des représailles interdites à l’encontre du lanceur d’alerte, ainsi que des précisions sur l’accompagnement financier et psychologique des personnes ayant lancé l’alerte. La loi Sapin III instaurerait un régime de protection régi par l’AFA et l’HATVP. Ces deux entités contrôleraient la qualité et l’efficacité des mesures et procédures mises en œuvre par les entreprises ou entités publiques pour prévenir et détecter les faits de corruption, et accompagneraient les lanceurs d’alertes à travers les procédures[13].

Le renforcement du statut des lanceurs d’alerte via ces mesures reflète la volonté du législateur de les protéger. Notamment, d’actualité, le 8 février 2022 exactement, l’Assemblée nationale a adopté la loi Waserman transposant la Directive Européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes ayant signalé des violations du droit de l’Union[14]. La loi sera définitivement votée par les sénateurs le 16 février 2022. Ainsi la loi Sapin III participerait à la réalisation de l’objectif fixé par le législateur de mettre en place des mesures règlementaires pour ainsi améliorer la position de la France dans l’index précité.

Et maintenant ?

Il est important de considérer si la proposition de loi Sapin III sera efficace. Saura-t-elle revenir sur les points faibles de la loi Sapin II ? Cette régression dans le classement est une alerte sévère que les règlementations sont inefficaces dans le pays et que le problème doit être traité. La proposition de loi Sapin III est logique dans la séparation du contrôle des secteurs privé et public entre deux entités. Cela aidera certainement en termes d’efficacité mais comme le disent les Anglais : will it be enough ?

 

[1] Indices de perception de la corruption de Transparency International, 2021, https://transparency-france.org/publications/indices-de-perception-de-corruption/#.YgjUi-7MITU.

[2] Gouvernement.fr, « La loi pour la transparence, l’action contre la corruption et la modernisation de la vie économique », 28 septembre 2021, https://www.gouvernement.fr/action/la-loi-pour-la-transparence-l-action-contre-la-corruption-et-la-modernisation-de-la-vie.

[3] Ibid.

[4] SIA Partners « Propositions de la loi Sapin 3 et protection des lanceurs d’alertes : le cadre français se renforce », 6 décembre 2021, https://www.sia-partners.com/fr/actualites-et-publications/de-nos-experts/propositions-de-loi-sapin-iii-et-protection-des-lanceurs#:~:text=Cette%20proposition%20de%20loi%20a,texte%20le%2025%20octobre%202021.

[5] Gauvin, Raphaël, « Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption », 19 octobre 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4586_proposition-loi.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Article 8 de la proposition de loi Sapin III.

[9] Ibid.

[10] Article 7 de la proposition de loi Sapin III : création de six nouveaux articles dans le code de procédure pénale de 706-183 à 706-188.

[11] Alinéa 3 de l’article 6 de la proposition de loi Sapin III.

[12] SIA Partners.

[13] Ibid.

[14] Vie Publique, « Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte », 9 février 2022, https://www.vie-publique.fr/loi/282472-proposition-de-loi-waserman-protection-des-lanceurs-dalerte.

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