Les formes variables des déplacements environnementaux
… ou la difficulté de définir un phénomène migratoire en droit international
Le 31 octobre 2017 Jacinda Ardern, la première ministre néo-zélandaise, a annoncé que le pays pourrait accueillir des réfugiés suite au changement climatique et la montée de l’eau en provenance des îles du Pacifique¹. Le 2 novembre, à peine quelques jours plus tard, l’ONG Oxfam International publie un rapport selon lequel le nombre des personnes qui ont quitté leur domicile au cours de l’année 2016² à cause de catastrophes climatiques, telles que tempêtes et inondations, s’élève à 23,5 millions³. Enfin, selon le bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale du 30 octobre 2017 qui présente les résultats d’observation globale sur l’état du gaz à effet de serre dans l’atmosphère⁴ pour l’année 2016, le niveau de concentration du CO2 dans l’atmosphère a encore augmenté atteignant aujourd’hui un niveau record.
Dernier bilan
Les faits exposés ci-dessus ne sont qu’un extrait d’actualités récentes sur le sujet de la migration climatique. Cependant, ils sont suffisamment parlants pour démontrer la gravité de la situation à laquelle les migrants climatiques⁵ font face. Malgré le travail considérable accompli par, entre autres, chercheurs, société civile et ONGs au cours des dernières années, une divergence dans les termes utilisés émerge. De nombreuses notions différentes surgissent, telles que “réfugiés climatiques”, “réfugiés environnementaux”, “réfugiés de l’environnement”, “migrants environnementaux”, ou encore “déracinés par le changement climatique” ce qui prête à confusion et laisse penser que les auteurs font référence à des phénomènes sociaux différents. Or, le même problème social et humanitaire est évident derrière toutes ces appellations. Le désaccord sémantique est créé par le manque d’une définition établie en droit international. Une telle définition faciliterait le travail de recherche sur les problématiques liées aux migrants climatiques et permettrait la mise en place et le développement d’un statut juridique à l’égard de ce groupe social.
De plus, définir le phénomène social en termes juridiques éviterait la confusion avec d’autres régimes juridiques. Par exemple, l’emploi du terme “personne déplacée” renvoie aux personnes déplacées à l’intérieur d’un pays⁶ (ci-après les “IDPs”). Or, les migrants climatiques se différencient de ceux derniers en ce que leur déplacement n’est pas limité dans le seul cadre de l’Etat d’origine. Une confusion est souvent faite avec le régime juridique destiné aux réfugiés lequel est consacré par la Convention de Genève⁷. Celle-ci ne fait aucune référence aux migrants climatiques ou à la dégradation de l’environnement et ne régit donc pas leur statut juridique. Il est par conséquent étonnant d’utiliser le terme “réfugié” pour désigner les migrants climatiques.
Controverse terminologique
L’élément clé permettant de définir juridiquement les migrants climatiques est lié aux circonstances qui ont provoqué le déplacement des personnes. Une telle approche se justifie de deux manières. Tout d’abord, si on s’inspire par la définition formulée à propos des réfugiés au sein de la Convention de Genève ou celle concernant les IDPs établie par les Principes Directeurs du HCR, on peut voir qu’elles se basent toutes deux sur les conditions ayant causé le déplacement des individus. Etant donné que la situation des migrants climatiques est, par sa nature, la plus semblable à celles régies par les deux textes, il serait judicieux de s’appuyer, par analogie, sur ces derniers pour élaborer une terminologie pertinente. Par ailleurs, les circonstances ayant provoqué la délocalisation des migrants climatiques sont celles qui justifient cette délocalisation. Elles caractérisent donc la catégorie sociale des migrants climatiques. En effet, définir les circonstances environnementales s’avère une tâche difficile en comparaison avec d’autres régimes juridiques. Par exemple, concernant les réfugiés, la “crainte bien fondée de persécution” est la raison même du déplacement des personnes. Une telle situation est facilement déterminable du point de vue des faits, et le sens attribué à ce terme est privé de toute ambiguïté, ce qui le rend relativement adapté à l’analyse juridique.
Un second problème se pose concernant la définition des circonstances. Le terme “réfugiés de l’environnement avait été utilisé pour la première fois par Essam El-Hinnawi en 1985 dans un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Selon la définition donnée à l’époque, il s’agit d’un “groupe de personnes forcées de quitter leurs habitats traditionnels à cause d’une nette dégradation de leur environnement”. Cependant, une telle définition fait croire que la migration climatique est causée uniquement par une détérioration de l’écosystème. Or, souvent les changements de l’environnement viennent de pair avec des conflits sociaux et militaires. Par exemple, dans des régions instables, les catastrophes naturelles peuvent contribuer aux bouleversements sociaux. Ainsi, certains affirment que la sécheresse qui a eu lieu en Syrie entre 2006 et 2011 a contribué à l’émergence et la dégradation du conflit militaire dans le pays de ces dernières années. Il paraît donc que les flux migratoires sont devenus des systèmes complexes comprenant à la fois d’éléments différents ce qui rend compliqué de séparer le facteur environnemental du facteur politique.
Dichotomies constitutives
Définir un phénomène signifie en identifier les limites. Dans le cas des migrants climatiques, il s’avère compliqué de définir la notion à cause de plusieurs contradictions qui lui sont propres. Pour commencer, on peut se demander si les migrants en question sont forcés ou obligés de quitter leur domicile. La notion de “migration forcée” se réfère à un mouvement involontaire de personnes et est souvent associé à la migration causée par la crainte de persécutions, par des situations de conflit armé, de troubles internes, ou de catastrophes naturelles⁸. Si l’on accepte que la migration climatique est forcée, on viendrait à affirmer qu’il s’agit d’une forme de migration couverte par la Convention de Genève. De l’autre côté, la notion de “migration obligée” sous-entend un choix volontaire de quitter le domicile, malgré qu’il est dicté par les circonstances. Un tel choix s’imposerait dans le cadre de la mise en place de mesures préventives qui visent à éviter les victimes et les pertes qui pourraient être entraînées par une catastrophe naturelle ou la montée de l’eau, par exemple. De nouveau, les circonstances se révèlent fondamentales pour établir une définition des migrants climatiques.
Une autre particularité de la migration climatique est la double vitesse dictée par la délocalisation des groupes et individus. Dans un premier temps, on a une délocalisation qui se produit lentement et s’effectue par des individus et petit groupes en raisons des changements de l’environnement lents, tels que le changement climatique défini par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques laquelle attribue celui-ci à “une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale […]”. Les changements climatiques s’ajoutent “à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables”⁹. Néanmoins, des épisodes de migration climatique de masse peuvent avoir pour origine des catastrophes naturelles qui arrivent brusquement et ne se confondent pas à la définition citée ci-dessus. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’une migration mais d’un déplacement car celui-ci s’effectue rapidement et concerne un nombre important d’individus. A part le fait qu’il serait difficile de définir avec certitude si la catastrophe naturelle est causée par le changement climatique ou pas, une définition de la migration climatique se limitant aux seuls effets du changement climatique priverait de protection les victimes à des catastrophes naturelles non liées aux interventions anthropiques. Enfin, une telle définition écarterait du champ d’application du régime juridique les régions dont l’environnement a été endommagé suite à des activités industrielles ou construction de projet d’infrastructure. La question de la causalité du déplacement et de l’établissement du degré de responsabilité des différents acteurs du changement climatique se pose ici avec force.
La question de la vitesse de la migration soulève par ailleurs la question de la temporalité de la délocalisation. A cet égard, on pourrait faire un parallèle avec la Convention de Genève. Selon ses dispositions, celle-ci cessera d’être applicable, entre autres, lorsque les personnes retournent dans leur pays d’origine ou si les circonstances à la suite desquelles elles avaient été reconnues comme réfugiées ont cessé d’exister.
La question du retour dans le pays d’origine est cruciale pour établir une définition des migrants climatiques. Elle permettra de délimiter la catégorie de personnes susceptibles de bénéficier des droits et garanties dans le cadre du statut juridique des migrants climatiques.
Face à tous ces éléments, on peut constater la présence d’une vraie hétérogénéité parmi les migrants climatiques qui entraînerait la mise en place d’un régime juridique complètement séparé de celui des réfugiés.
Réglementer vaut contrôler
Nombreux sont ceux qui militent pour la mise en place d’un statut juridique des migrants climatiques en droit international. Cependant, il convient de se demander si le défaut de régime juridique ne pourrait pas être avantageux. Tout d’abord, le manque de statut juridique permet une certaine flexibilité du point de vue de l’analyse juridique. A titre d’illustration, la situation des migrants climatiques permet des croisements avec celle des IDPs et des réfugiés, ce qui fait que des dispositions du droit international relatives à ces deux catégories leur sont appliquées. En fonction de l’interprétation des textes et des faits, il semble possible d’attribuer ainsi un certain degré de protection aux migrants climatiques.
Cependant, l’établissement d’un régime juridique participerait de la régulation des flux migratoires. Le défaut de statut juridique en droit international fait que le problème sera résolu au cas par cas par les droits nationaux, au risque que ce type de migration soit considérée comme illégale. Le retour de l’individu ou du groupe au domicile d’origine n’empêchera pas ceux-ci de se déplacer de nouveau. Ainsi, ce groupe social devient-il rapidement vulnérable à des activités illicites telles que, par exemple, le trafic de migrants ou de stupéfiants, la criminalité transnationale organisée ou encore le terrorisme. Assurer une protection aux migrants climatiques aurait pour effet, par conséquent, de fournir des outils juridiques afin de contrôler ces flux migratoires et limiter les dangers pour la sécurité nationale et internationale.
Par ailleurs, il existe plusieurs manières d’établir un nouveau statut juridique sans mettre en péril le régime juridique international concernant les réfugiés. Au lieu de modifier la Convention de Genève pour y inclure une référence aux migrants climatiques, il serait bénéfique d’instituer un régime juridique séparé, ce qui entraînerait la mise en place d’une protection institutionnelle également séparée. De plus, suivant l’exemple des IDPs, produire des lignes directrices à l’égard des organes de l’ONU, des Etats et des organisations intergouvernementales et non-gouvernementales serait un compromis entre les différents intérêts étatiques en jeu et ne baisserait donc pas les standards de protections déjà bâtis en droit international.
Existe-il une alternative?
L’établissement d’un statut juridique est étroitement lié à la préservation de l’identité des migrants climatiques. Or, cette question ne se pose pas de la même manière pour tous les migrants climatiques ayant fui leur domicile. Pour certains, la survie de leur culture est en danger. Par exemple, la vie quotidienne des peuples indigènes de l’Alaska dépend du maintien des glaces et du climat polaire Cependant, du fait des changements climatiques, leur habitat traditionnel est mis en péril par la fonte des glaces. De ce fait, ce peuple est forcé d’abandonner son domicile. Cependant, en le quittant, ils s’éloignent naturellement de leurs racines culturelles. Ainsi se pose-t-il une question concernant la possibilité pour ces peuples de s’adapter aux changements climatiques afin de préserver leur culture traditionnelle. Le même problème surgit pour d’autres peuples. Aux Pays-Bas, un pays dont deux tiers du territoire est situé sous le niveau de la mer, des investissements massifs permettent d’espérer se protéger de la montée des eaux.
Un autre exemple : afin de restaurer et rendre l’habitabilité des îles Saint-Martin et Saint Barthélemy après le passage du cyclone, le gouvernement français prépare un plan de restructuration¹⁰. Celui-ci permet de s’interroger sur un nouvel élément clé pour la définition des migrants climatiques et la concrétisation de leur statut, la possibilité pour ceux-ci de revenir dans leurs domiciles d’origine. Cependant, une telle solution n’est envisageable qu’en présence de sources de financement. Développer des moyens à même de gérer efficacement des projets de reconstruction dans les régions ayant souffert les conséquences des catastrophes naturelles et l’impact du changement climatique permet la recherche de solutions pour les peuples et régions le plus exposés à ses impacts néfastes. Selon la déclaration de Tavau Teii, ancien vice-premier ministre des Tuvalu faite au cours de la 62e session du débat général annuel de l’Assemblée générale des Nations Unies¹¹, ce type de mesures ne peut cependant être que de caractère alternatif. Dans le même sens, un chercheur en provenance du Bangladesh, un des pays les plus vulnérables au changement climatique, exprime son ambition d’aider son peuple de transformer son pays en l’endroit le plus capable de s’adapter¹² aux défis posés par la nature et les changements climatiques. Mais la mise en place de ces mesures d’adaptation et de mitigation ne doit pas être isolée du travail juridique sur ce sujet. La concrétisation du régime juridique permettant de protéger les migrants climatiques aurait pour effet de favoriser le travail scientifique et académique, lequel alimentera à son tour les recherches concernant les mesures alternatives d’adaptabilité des régions pour proposer une solution aux problèmes rencontrés par les migrants climatiques.
Rada Markova
Etudiante M2 – Global Governance Studies
Sources
(1) CNN, Interview avec la Première Ministre Jacinda Ardern du 31 octobre 2017, consulté le 6 novembre 2017, http://edition.cnn.com/videos/world/2017/10/31/intv-amanpour-jacinda-ardern-climate.cnn/video/playlists/amanpour/
(2) D’après la définition donnée par le Glossaire de la Migration publié en 2007 par l’Organisation Internationale pour les Migrations
(3) Déracinés par le Changement Climatique Répondre au risque croissant de déplacement, publié en novembre 2017, consulté le 6 novembre 2017 https://www.oxfamfrance.org/sites/default/files/bp-uprooted-climate-change-displacement-021117-fr.pdf
(4) WMO Greenhouse Gas Bulletin, n°13, publié le 30 octobre 2017, consulté le 6 novembre 2017 https://ane4bf-datap1.s3-eu-west-1.amazonaws.com/wmocms/s3fs-public/ckeditor/files/GHG_Bulletin_13_EN_final_1_1.pdf?LGJNmHpwKkEG2Qw4mEQjdm6bWxgWAJHa
(5) La notion de migrants climatiques n’a pas de valeur juridique en droit international. Celle-ci est choisie dans le cadre de cet article afin de pouvoir nommer cette catégorie sociale et éviter toute confusion avec le régime juridique concernant les réfugiés et les personnes déplacés.
(6) Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, http://www.unhcr.org/fr/protection/idps/4b163f436/principes-directeurs-relatifs-deplacement-personnes-linterieur-propre-pays.html
(7) Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés entrée en vigueur le 22 avril 1954
(8) Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, see above
(9) Art 1.2, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(10) Huffpost, consulté le 6 novembre 2017 http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/06/ouragan-irma-emmanuel-macron-annonce-un-plan-national-de-reconstruction-pour-saint-barthelemy-et-saint-martin_a_23199322/
(11) Statement by the Honourable Tavau Teii Deputy Prime Minister and Minister of Natural Resources and Environment of Tuvalu at the 62nd Session of the United Nations General Assembly Open Debate New York, Monday 1st October 2007
(12) “My ambition over the coming years is to help the people of one of the poorest and most vulnerable – and yet resilient and innovative – countries transform itself from being the world’s most famously “vulnerable” country to being recognised as perhaps its most “adaptive” country.” https://www.theguardian.com/commentisfree/cif-green/2009/dec/14/climate-change-popular-movement, consulté le 6 novembre 2017