Entretien avec M. Sébastien Denaja, Rapporteur de la loi Sapin II
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En janvier 2015, après la remise par Jean-Louis Nadal de son rapport sur l’exemplarité des responsables publics[1], le Président de la République a annoncé qu’un projet de loi portant sur la transparence de la vie économique avait été confié au ministre des Finances et des Comptes publics Michel Sapin.
Quelques mois plus tard, en juillet 2015, Michel Sapin a présenté en Conseil des ministres les grands axes du projet et le 30 mars 2016, le Projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a été adopté en Conseil des ministres.
A la même date, ce texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale et renvoyé à la commission des lois, laquelle a désigné M. Sébastien Denaja comme Rapporteur[2].
Entretien.
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- En sus de la saisine de la commission des lois, la commission des affaires économiques et la commission des finances se sont saisies pour avis et, ont respectivement désigné comme rapporteurs M. Dominique Potier et M. Romain Colas. Comment s’est organisée la coopération entre les trois commissions ?
Les travaux des commissions des Lois, des Affaires économiques et des Finances se sont organisés selon une procédure très peu courante, celle de la délégation d’articles. En effet, si la commission des Lois a été saisie au fond de l’ensemble du projet de loi, elle a délégué l’examen de nombreux articles aux deux commissions saisies pour avis.
Cette procédure n’avait été jusque-là employée qu’à de très rares occasions à l’Assemblée Nationale, pour la loi portant engagement national pour l’environnement, sous la XIIIe législature, et pour le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière en 2013.
C’est une méthode qui convenait parfaitement au caractère très transversal du projet de loi et permettait de respecter les compétences de chacun, sans recourir à la création d’une commission spéciale. Nous avons travaillé de manière tout à fait harmonieuse sur l’ensemble du texte sur lequel, outre les articles relevant de la commission des lois, j’ai néanmoins conservé un rôle de supervision et de coordination de l’ensemble de la discussion parlementaire.
- Pourriez-vous nous exposer l’esprit de la loi Sapin II : quel était le dessein de l’exécutif, quelle était l’intention du législateur ?
La France faisait, depuis de nombreuses années, l’objet de critiques récurrentes de la part des organisations internationales spécialisées qui reprochaient surtout à notre pays une application insuffisante des textes relatifs à la prévention de la corruption, en particulier lorsque celle-ci concernait des Etats ou des marchés étrangers.
23 ans après la loi « Sapin I » relative – déjà ! – à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique, les pouvoirs publics avaient le devoir d’agir.
L’intention du législateur – et plus précisément celle de la majorité parlementaire de l’époque – était aussi de continuer, après la loi de séparation bancaire, après celle de 2013 relative à la transparence de la vie publique et celle relative à la lutte contre la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, à œuvrer contre la « finance dévoyée », l’argent sale qui corrompt…jusqu’au pacte républicain. Et, d’une certaine manière, le dessein de l’exécutif – du Président de la République au premier chef – était de rester fidèle à l’esprit du « fameux » discours du Bourget. C’est, si j’ose dire, l’esprit de ce discours qui souffle sur ce texte.
Mais, au-delà des contingences politiques, il y avait, sincèrement, le souhait de répondre à une exigence éthique.
- Le texte adopté le 9 décembre 2016 comporte 169 articles : renforcement de la lutte contre la corruption, protection des lanceurs d’alerte, création de la convention judiciaire d’intérêt public… : en qualité de rapporteur, quels étaient vos objectifs ? Vos priorités ?
Le texte avait, je l’ai dit, un caractère très transversal, dès lors qu’il comprenait, outre des dispositions relatives à la transparence et à la corruption un important volet relatif à la modernisation de la vie économique reprenant des dispositions de ce qui aurait dû être la loi « Macron II » que l’exécutif avait finalement décidé de scinder en deux en en répartissant le contenu entre la loi « Sapin II » et la loi « Travail ». Et, comme tous les textes adoptés en fin de législature, il était devenu le réceptacle de dispositions très disparates dont certaines revêtaient de surcroît un caractère d’urgence (notamment en matière agricole face à la crise laitière).
Aussi, mon premier objectif, en tant que rapporteur de l’ensemble du texte, était, nonobstant l’importance de certaines de ces dispositions, qu’il conserve sa colonne vertébrale, autrement dit qu’il reste d’abord un texte de lutte contre la corruption et pour la transparence. Je note d’ailleurs avec satisfaction que c’est ce que l’on retient pour l’essentiel de ce texte aujourd’hui.
J’ai, en tout cas, eu comme priorité de renforcer tous les instruments de lutte contre la corruption, en particulier ceux mis à la disposition du Parquet National Financier qui venait tout juste d’être créé et de saisir l’occasion pour bâtir – avec l’assentiment du gouvernement – un statut général des lanceurs d’alerte.
Et c’est la raison pour laquelle j’ai pu, grâce au soutien de mes collègues de la majorité, adjoindre au projet de loi une proposition de loi organique donnant compétence au Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte.
- La création d’une agence nationale de lutte contre la corruption était plébiscitée tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. Après avoir proposé de nommer cet établissement Agence française anticorruption, vous avez interpellé le ministre d’une part, sur les effectifs de ce service et d’autre part, sur son indépendance fonctionnelle. Pourquoi vous être focalisé sur ces deux points ? Vous êtes-vous inspiré des législations de nos voisins européens ?
L’AFA est un service à compétence nationale, chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption. Elle n’a donc pas d’indépendance organique. Ce qui, d’ailleurs, comme son double rattachement à Bercy et à la Chancellerie, n’est pas forcément une mauvaise chose du point de vue des moyens budgétaires qui peuvent lui être alloués. C’est, néanmoins, la raison pour laquelle je me suis focalisé sur tout ce qui pouvait contribuer à renforcer son indépendance fonctionnelle : inamovibilité du directeur de l’agence (qui est de surcroît un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire) et indépendance fonctionnelle des agents qui, à l’aune de ce qui existe pour une « véritable » autorité administrative indépendante, ne peuvent recevoir aucune instruction ministérielle.
Par ailleurs, si elle paraît triviale, la question des effectifs n’en est pas moins vitale. Et ce d’autant plus que l’on est enseigné en France par l’expérience récente. Je rappelle, par exemple, qu’en 2010, le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) auquel se substitue l’AFA représentait seulement 4,75 équivalents temps plein !
Alors que le service comparable en Italie – dont nous avons pu en l’occurrence nous inspirer – comprend près de 350 agents. Le gouvernement de l’époque s’était engagé à doter l’AFA de 70 agents. Le Parlement doit pleinement exercer sa mission de contrôle et veiller à ce que cet engagement soit tenu.
- Lors des discussions en commission, vous avez évoqué la mise en place d’une nouvelle procédure de transaction spécifique aux atteintes à la probité : la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Selon vous, si ce dispositif ne manquait pas d’intérêt, il devait s’accompagner d’un renforcement global des moyens mis à disposition du Parquet National Financier. Plaidez-vous toujours en ce sens ?
La Convention judiciaire d’intérêt public est une véritable innovation juridique. Au départ, j’étais moi-même relativement réservé sur l’idée de créer une procédure de transaction spécifique aux atteintes à la probité, tant elle semblait étrangère à notre culture juridique.
L’important travail d’auditions que nous avons mené a eu raison de mes préventions. Ce sont en particulier les auditions de Mme Xavière Simeoni, alors cheffe du SCPC et d’Eliane Houlette, Procureur de la République financier qui ont achevé de me convaincre. Celles-ci « confessaient » elles-mêmes quelques a priori conceptuels mais, estimaient néanmoins nécessaires de dépasser ces préventions intellectuelles – pour ne pas dire idéologiques – pour renforcer l’arsenal juridique français en matière de lutte contre la corruption. Nombreux sont ceux qui découvrent avec stupéfaction qu’en la matière, aucune personne morale n’a jamais été condamnée à titre définitif en France.
La création de ce dispositif doit aussi beaucoup au travail de Mme Sandrine Mazetier, alors députée de Paris, mais aussi aux contributions constructives de l’opposition. Je pense en particulier au député LR Pierre Lellouche qui a contribué à convaincre nos collègues de la pertinence d’un tel dispositif au regard de la pratique des autres grandes puissances économiques mondiales et de la véritable « compétition judiciaire » qu’elles se livrent en ce domaine. J’avais d’ailleurs acquis cette conviction en accompagnant le ministre Michel Sapin lors d’un déplacement de travail à Londres pour mieux apprécier la pratique britannique en la matière.
Ce dispositif peut néanmoins comporter un certain nombre de risques et oblige parlementaires et universitaires à une évaluation rigoureuse de ce que sera son utilisation.
Sa première mise en œuvre, fin 2017, a en tout cas, d’ores et déjà permis une condamnation jamais vue dans notre pays au paiement d’une amende de 300 millions d’euros. Cela prouve d’ailleurs une fois de plus la redoutable efficacité du PNF, pour lequel je plaide néanmoins toujours pour une augmentation significative des moyens humains et matériels dont il dispose.
En 2016, le PNF était constitué d’une quinzaine de magistrats. Un tiers d’entre eux étaient accaparés par l’affaire des « Panama papers ». Ce seul exemple suffit à comprendre qu’au vu de l’extrême complexité des dossiers qu’il a en charge de traiter, le PNF ne peut se contenter de moyens manifestement sous-dimensionnés.
Mais les résistances sont nombreuses au sein de l’appareil d’Etat – et même de l’appareil judiciaire ! – face à ce « nouveau venu » dans le paysage institutionnel. Là encore, le Parlement a un rôle déterminant à jouer pour s’assurer que l’exécutif ne réduise pas cet indispensable outil à une peau de chagrin.
- La loi Sapin II contraint les lanceurs d’alerte à passer par un système de filtrage complexe[3]. La délation est un risque, la cupidité aussi, pensez-vous que ce soit la meilleure procédure et qu’il n’y ait pas un risque de décourager de nombreuses personnes de bonne foi ?
C’est bien parce que nous nous sommes radicalement distanciés de la conception anglo-saxonne, pour ne pas dire américaine, qui amène parfois les lanceurs d’alerte à se comporter en véritables mercenaires délateurs, que nous avons tenu à prévoir, non pas un « système de filtrage », mais une procédure de signalement en plusieurs phases (en interne d’abord et, à défaut, en l’absence de traitement, en externe auprès du public).
Nous avons, sur ce point, suivi les préconisations du Conseil d’Etat qui invitaient à ne pas « délégitimer » a priori les processus internes de traitement d’une alerte éthique. C’est même une logique qui imprègne l’ensemble du texte, qui vise à promouvoir la mise en place de dispositifs de prévention de la corruption et d’auto-régulation.
Et je tiens à rappeler ici que l’intention du législateur était bien de ne donner à cette procédure qu’un caractère indicatif. C’est, d’une certaine manière, le cheminement « idéal » d’une alerte éthique.
Mais les conditions d’espèce peuvent, selon l’urgence et la gravité de la situation, justifier de s’en écarter. D’ailleurs, au-delà de la protection que nous souhaitions offrir aux lanceurs d’alerte, c’est surtout le traitement de l’alerte qui nous préoccupait car la vocation même de l’alerte éthique est de préserver l’intérêt général.
Protéger celui qui est l’émetteur de l’alerte n’est en définitive qu’un moyen au service de cette fin supérieure. C’est en cela que le dispositif français peut, je crois, servir de modèle ou, du moins, de référence, pour d’autres pays européens.
- Par ailleurs, vous avez proposé de faire du Défenseur des droits la clef de voûte de la protection des lanceurs d’alerte. Qu’est-ce qui a motivé cette recommandation ? Regrettez-vous que le Conseil constitutionnel ait déclaré contraire à la Constitution les dispositions permettant au Défenseur des droits d’accorder une aide financière aux lanceurs d’alerte[4]? Pour le coup n’était-ce pas budgétiser des alertes dont on doit estimer qu’elles doivent rester civiques ?
La protection des lanceurs d’alerte ne pouvait qu’échoir à une autorité indépendante. Il y avait donc deux options possibles : créer une nouvelle autorité indépendante spécialement chargée de cette mission ou étendre le champ de compétence d’une autorité indépendante existante.
Nous avons rapidement écarté la première option – pourtant privilégiée au départ par le gouvernement – car il est toujours risqué de faire surgir dans le paysage administratif une nouvelle institution dont il n’est surtout jamais assuré que l’avenir matériel soit assuré en cas d’alternance. En outre, confier au Défenseur des droits, dont l’existence est consacrée par la Constitution et le statut fixé par une loi organique, nous semblait offrir toutes les garanties requises. Enfin, c’est ce que préconisaient tout à la fois la plupart des ONG ainsi que le rapport du Conseil d’Etat remis sur cette question au Premier ministre.
L’objectif était d’offrir aux lanceurs d’alerte une protection optimale et surtout concrète. C’était l’objet de la disposition prévoyant la possibilité d’une aide financière, car de nombreux lanceurs d’alerte sont confrontés à de grandes difficultés matérielles, en particulier pour l’avance des frais de justice face, le plus souvent, à des groupes disposant de moyens considérables.
On peut donc regretter la censure du Conseil constitutionnel sur ce point. Il n’est pas impossible qu’une forme de « lobbying » institutionnel ait pu peser dans cette décision…C’est au législateur de reprendre la main, s’il souhaite que la protection offerte aux lanceurs d’alerte soit effective, au-delà de ce que nous avons prévu contre les mesures discriminatoires et de licenciement abusif.
- S’agissant des représentants d’intérêts, vous souhaitiez aller plus loin que le gouvernement en étendant le périmètre des acteurs concernés à l’Assemblée nationale, au Sénat ainsi qu’aux collectivités territoriales. La conservation de régimes déontologiques différenciés ne fait-elle pas perdre à cette mesure son efficacité ?
Grâce à la loi Sapin II, la France a opéré un changement culturel profond en matière de transparence dans le processus de production des normes, qu’il s’agisse de rendre intelligible pour le citoyen. La création d’un répertoire unique des représentants d’intérêt exerçant leur influence auprès du Gouvernement et du Parlement est, de ce point de vue, un réel progrès. Il fallait néanmoins tenir compte de l’autonomie institutionnelle des assemblées. Ce qu’a d’ailleurs confirmé la décision du Conseil constitutionnel.
D’une manière générale, je regrette de ne pas avoir été suivi concernant l’extension du champ d’application de cette logique aux collectivités territoriales auprès desquelles s’exerce quotidiennement un lobbying intense et parce que, disons-le, les autorités décentralisées constituent en France un véritable foyer de corruption face auquel la justice française est le plus souvent démunie faute de moyens.
Mais, j’ai bon espoir. La logique historique, l’évidence démocratique, c’est un régime déontologique unifié au plan local comme au plan national. C’est d’ailleurs l’intérêt même des représentants d’intérêts qui y gagneront en simplicité.
- La loi Sapin II a fait l’objet d’une navette parlementaire à l’issue de laquelle l’Assemblée nationale a eu le dernier mot[5]: quels étaient les points de convergence et de tension entre les deux chambres ?
Si les points de convergence étaient nombreux sur la philosophie générale du texte, les points de divergence l’étaient tout autant sur certains aspects saillants du texte ; qu’il s’agisse du statut des lanceurs d’alerte dont le Sénat avait une vision plus minimaliste ou encore de la question de l’encadrement des modalités de fixation des rémunérations des grands patrons, mais aussi et surtout à propos du répertoire des représentants d’intérêts sur lequel les sénateurs souhaitaient conserver – si j’ose dire – la « haute main ».
Ce fut le principal point d’achoppement des discussions entre les deux chambres et celui sur lequel, je l’avoue, j’ai fait échouer la commission mixte paritaire, contrairement d’ailleurs à ce que souhaitait le gouvernement.
Laisser le dernier mot à l’Assemblée c’était, sur ces trois points en particulier, aboutir à la rédaction d’une loi beaucoup plus ambitieuse que celle issue des travaux du Sénat, même si je me félicite de la qualité des échanges que j’ai pu avoir avec mon homologue du Palais du Luxembourg.
- L’ajout de circonstances aggravantes et l’extension des techniques d’enquête spéciales pour l’ensemble des manquements au devoir de probité ont été supprimés par le Sénat. Pourquoi l’Assemblée nationale a-t-elle jugé préférable de ne pas réintroduire ces mesures en deuxième lecture ?
Ce sont les affres – les charmes diront certains – de la navette parlementaire…Il y a toujours le souhait, en seconde lecture, au-delà des effets de ce qu’on appelle « l’entonnoir », de limiter les points de contradiction entre les deux assemblées.
Mais, en l’occurrence, nous nous sommes surtout rangés sur ce point à l’avis de la Chancellerie.
- Plusieurs mesures, parmi lesquelles la protection des lanceurs d’alerte, l’encadrement du lobbysme ou encore la mise en place obligatoire de codes de conduite par les entreprises, semblent démontrer une volonté de promouvoir l’autorégulation. Est-ce un choix d’opportunité ou bien l’illustration d’un mouvement plus large de responsabilisation des acteurs économiques, ou encore l’aveu de ce que les anciennes dispositions spécifiquement étatiques avaient montré leurs limites ?
Avec le recul, votre question m’amène à penser qu’en effet, au-delà d’un choix d’opportunité, le texte ce situe à de nombreux égards dans ce vaste mouvement de responsabilisation des acteurs économiques et d’un Etat qui, depuis plusieurs décennies déjà, s’affirme comme un Etat régulateur.
- Si la majorité des articles de la loi a été validée par le Conseil constitutionnel, plusieurs dispositions ont toutefois été censurées comme l’inégibilité en cas de manquement au devoir de probité[6]. Comment interprétez-vous cette censure partielle ?
Il ne s’agit en effet, sur ce point, que d’une censure partielle. Le Conseil constitutionnel a considéré – à juste raison – que, concernant les membres du parlement, une telle disposition ne pouvait relever que d’une loi organique et non d’une loi ordinaire. Cette peine d’inéligibilité vaut donc néanmoins pour toutes les autres catégories d’élus.
Et j’espère que le législateur ne manquera pas d’adopter une loi organique pour que ces dispositions puissent enfin s’appliquer aussi aux parlementaires.
L’occasion a été manquée lors de l’examen de la loi de moralisation de la vie publique au début de la nouvelle législature. Je ne doute pas qu’une nouvelle occasion sera saisie avant 2022…
- Un an après son adoption la loi Sapin II produit déjà ses effets. Quel bilan tirez-vous de cette loi ? Quelles devraient être les prochaines étapes de la lutte pour la transparence de la vie économique ?
Il est encore un peu tôt pour évaluer les effets de cette loi, notamment pour ce qui concerne les lanceurs d’alerte. Cependant, ses effets sont déjà réels et loin d’être négligeables.
Je pense en particulier à la validation par le TGI de Paris, le 14 novembre 2017, de la 1ère Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) signée en France et qui est le fruit des négociations menées par le Parquet National Financier et la Banque HSBC condamnée au versement d’une amende record de 300 millions d’euros. Je pense aussi aux nouvelles modalités de fixation de la rémunération des grands patrons qui semblent quelque peu rééquilibrer les rôles entre conseil d’administration et assemblée générale des actionnaires.
J’ai aussi l’impression que l’Agence Française Anticorruption s’installe véritablement dans le paysage institutionnel et que les dispositions concernant le lobbying ne tarderont pas à produire leur effet « culturel ».
Il faut néanmoins que le Parlement et les ONG restent particulièrement vigilants sur la question des moyens alloués au PNF, à la HATVP ou à l’AFA, sans quoi les dispositions de la loi Sapin II ne pourront être pleinement effectives.
Notre arsenal juridique est aujourd’hui relativement complet. La véritable bataille aujourd’hui, c’est celle des moyens concrètement alloués à la lutte contre la corruption.
Sébastien Denaja
Rapporteur de la loi Sapin II
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 – Capitole
Membre de l’Institut Maurice Hauriou
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[1] J.-L. Nadal, « Renouer la confiance publique », Rapport au Président de la République sur l’exemplarité des responsables publics, La documentation française, 7 janvier 2015
[2] S. Denaja, Rapport n° 3785 & 3786, 26 mai 2016
[3] Article 8, I de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016
[4] Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-740 DC, 8 décembre 2016
[5] S. Denaja, « Rapport n°4189 », Assemblée Nationale, 8 novembre 2016
[6] Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-741 DC, 8 décembre 2016
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