Immunité d’exécution des Etats
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Dans cet article, Alexis Madelain analyse les effets de la loi Sapin II sur la protection des biens des états étrangers face aux actions judiciaires de fonds vautours. Il suggère que l’interaction entre la loi Sapin II et le droit international est encore mal comprise et devra être confrontée à la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH.
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Immunité d’exécution des Etats
Retour sur la protection supplémentaire prévue par la loi Sapin II
Le droit français est généralement perçu comme favorable à l’arbitrage et son caractère libéral s’est affirmé dans le domaine de l’exécution forcée des décisions rendues contre des états étrangers.
A rebours de cette perception, la loi Sapin II a modifié le régime de l’immunité des biens des états devant les juridictions françaises et introduit une protection renforcée des états et des missions diplomatiques[1].
La Cour de cassation a suivi le législateur et a définitivement renoncé à sa jurisprudence antérieure.
Les nouvelles dispositions prévues par la loi Sapin II ont été à l’origine de vifs échanges dans la presse, certains accusant des états étrangers de téléguider le travail parlementaire
L’interprétation disparate d’une convention internationale
Pour rappel, la France est signataire, avec vingt-huit autres états, de la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004, dite « Convention de New York » (« la Convention »), bien que celle-ci n’ait pas été encore été ratifiée.
La Convention prévoit notamment une immunité d’exécution applicable aux biens appartenant aux états en cas de mesures conservatoire ou d’exécution forcée engagées par leurs créanciers.
L’immunité ne peut être levée que si l’état y renonce expressément (i.e. : une clause de renonciation figurant dans un contrat), si l’état a affecté certains biens au créancier, ou si les biens concernés ne sont pas utilisés à des fins de service public.
La Convention souffre d’une interprétation variable parmi les signataires, certains états exigeant par exemple une autorisation préalable du juge ou d’une administration avant toute saisie.
En France, la jurisprudence de la Cour de cassation, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, s’est d’abord engagée dans un mouvement d’assouplissement des conditions de saisies.
La Cour de cassation, s’appuyant sur la Convention des Nations Unies de 2004, a considéré que l’immunité d’exécution garantie aux états étrangers pouvait être levée dans deux conditions : que l’état ait renoncé à cette immunité de façon expresse, par un écrit, et de façon spéciale, c’est-à-dire que la renonciation porte sur des biens déterminés par l’état[2].
Cette jurisprudence a connu une évolution majeure en 2015, lorsque la Cour de cassation a estimé[3] qu’il n’était pas nécessaire que la renonciation des états soit spéciale, autrement dit qu’elle mentionne les biens auxquels cette renonciation s’applique.
En outre, la Cour de cassation a considéré que les biens appartenant aux missions diplomatiques ne bénéficiaient pas d’un traitement spécifique, et pouvaient ainsi faire l’objet d’une mesure d’exécution, à la suite d’une renonciation à l’immunité d’exécution.
Le 10 janvier 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation[4] a définitivement mis fin à cette jurisprudence. Reprenant les dispositions de la loi Sapin II, la Cour de cassation choisit de les appliquer à un cas datant de 2012 et confirme la nécessité d’une renonciation expresse et spéciale.
La Cour de cassation tenant compte de « l’impérieuse nécessité de traiter de manière identique des situations similaires » contre le principe de l’application de la loi dans le temps, choisit de revenir à la jurisprudence initiale confortée par la loi Sapin II.
Des états vulnérables à la recherche d’une protection accrue
Lors de l’examen de la loi Sapin II, le Gouvernement a soutenu que le nombre de saisies portant sur des biens appartenant aux états étrangers avait considérablement augmenté, du fait notamment de la facilité d’obtenir en France l’exequatur d’une décision et de la possibilité de mettre en œuvre une mesure d’exécution par huissier et sans autorisation judiciaire ou administrative.
Certains états très exposés lors de litiges internationaux et poursuivis par des créanciers peu scrupuleux ont vu leurs biens saisis en France.
Selon le Gouvernement, le droit français traitait alors l’état étranger tel un vulgaire débiteur de droit commun, dont la protection devait être renforcée[5].
La rédaction proposée par le Gouvernement, initialement supprimée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, a été conçue pour répondre à cette jurisprudence trop permissive de la Cour de cassation.
La rédaction proposée aux assemblées allait plus loin que la Convention de 2004, exigeant notamment une autorisation judiciaire préalable par voie d’ordonnance sur requête pour toute mesure conservatoire ou d’exécution forcée à l’encontre d’un bien appartenant à un état étranger.
En outre, le texte prévoit une immunité autonome pour certains biens, soit les biens destinés à des fins de service public non commerciales (i.e. biens destinés à l’exercice de la mission diplomatique, biens de caractère militaire, biens faisant partie du patrimoine culturel, biens faisant partie d’une exposition scientifique et culturales et les créances fiscales / et sociales de l’état).
L’introduction d’une nouvelle autorisation judiciaire préalable n’est pas sans conséquences : d’une part celle-ci constitue un obstacle non négligeable aux mesures d’exécution d’urgence, et d’autre part, cette obligation permet à l’état étranger de déplacer ses biens les plus mobiles hors du pays.
Malgré l’opposition du Parlement, comme en témoigne la suppression de ces dispositions par les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat en première lecture, c’est finalement le texte du Gouvernement qui a été adopté.
Une articulation délicate avec le droit des créanciers, une action internationale incertaine
Les débats autour de ce texte ont mis en lumière plusieurs difficultés conséquentes à ce renforcement de la protection conférée aux biens d’un état étranger.
La loi Sapin II rend l’exécution d’une décision arbitrale ou judiciaire, à l’encontre d’un état, sensiblement plus ardue : cette mesure contraint une personne déjà titulaire d’un titre exécutoire de se présenter à nouveau devant un juge.
La réforme est aussi susceptible de connaître une articulation difficile avec la jurisprudence de la CEDH. Dans plusieurs décisions[6], la CEDH a rappelé que l’impossibilité pour les requérants d’obtenir l’exécution d’un jugement définitif constituait une violation de l’article 6 de la convention (droit à l’accès à un tribunal).
Plus largement, la réforme a soulevé des difficultés notamment d’ordre diplomatique, plusieurs gouvernements étrangers objets de saisies récurrentes lors de litige internationaux étant favorables à un renforcement des protections apportées à leurs biens.
En effet, cette réforme s’inscrit dans un débat sur la nécessité de lutter contre les comportements anormaux de certains fonds spéculatifs. Ceux-ci prennent pour cible les biens appartenant aux états endettés et défaillants.
La loi Sapin II a entendu renforcer les protections accordées aux biens des états et a prévu des dispositions visant à lutter contre les fonds dits « vautours », en lien avec plusieurs ONG (i.e. limitation, sous certaines conditions, du recours aux mesures d’exécutions contre un état ayant fait défaut sur sa dette).
Cet effort doit toutefois désormais être confronté à la jurisprudence de la CEDH relative au « droit à l’exécution » et conforté par un effort de protection concerté au niveau international, lequel, au vu de l’interprétation disparate de la Convention de New York, semble plutôt incertain.
Alexis Madelain
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé de Sciences Po Paris
Lysias Partners
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[1] Articles 24 et 24 bis du Projet de loi
[2] Cass. Civ 1ère 28 septembre 2011, n° 09-72057
[3] Cass. Civ 1ère 13 mai 2015, n° 13-17751
[4] Cass. Civ. 1ère 10 janvier 2018, n° 16-22494
[5] Lors de la discussion du texte, le ministre avait notamment justifié la modification des règles en matière d’immunité des états par la nécessité de protéger, dans le cadre de la convention de 2004, les biens des états qui pourraient faire l’objet d’une saisie en France, arguant qu’il existait aujourd’hui en France une « incertitude sur les modalités d’application de la convention »
[6] CEDH 3è section 9 février 2006, De Luca c/ Italie (17644/03), CEDH 2è section 24 septembre 2013, Pennino c/ Italie (43892/04) ; CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, (18357/91)
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