La mise en place d’un dispositif spécifique de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier
La Revue des Juristes de Sciences Po vous propose de découvrir Les Cahiers Lysias, publication annuelle du cabinet Lysias Partners. Dans le cadre de ce partenariat, découvrez les enjeux de la loi Sapin II à la lumière de la pratique et les éclairages des avocats et des universitaires membres du cabinet.
Dans cet article, le Professeur Francesco Martucci analyse le statut spécifique des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier et suggère que l’évolution du droit positif représente une évolution significative de la perception des marchés financiers en ce qu’elle cherche un équilibre entre régulation par l’autorité et autorégulation par le marché..
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La mise en place d’un dispositif spécifique de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier
Ce sont des milliards d’euros de recettes, au moment où la France peinait à tenir la trajectoire d’ajustement devant lui permettre de retrouver la vertu budgétaire, qu’a permis de rapporter à la France une lanceuse d’alerte, ex-employée de la banque suisse HSBC.
Entre procédures judiciaires et ostracisation professionnelle, le sort de l’intéressée ne s’est guère avéré enviable. Et pourtant s’il est un secteur dans lequel l’État a intérêt à se montrer bienveillant avec les lanceurs d’alertes, il s’agit bien de la banque et la finance. Les crises financière et de dettes souveraines ont catalysé des réformes qui ont considérablement renforcé l’architecture institutionnelle de la régulation financière.
Le législateur de l’Union a ainsi établi non seulement le système européen de surveillance financière, mais également l’union bancaire. Mais une régulation n’est véritablement efficace que si elle mobilise les acteurs des marchés afin d’en détecter les dysfonctionnements. Tel est l’objet de l’article 16 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique qui consacre un dispositif de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier.
La réforme n’est assurément pas propre à ce secteur, mais s’inscrit dans un mouvement d’ensemble dont le rapport du Conseil d’État a été un des éléments de réflexion les plus aboutis[1].
Avant l’affaire Snowden ou encore les « Panama papers », la Cour européenne des droits de l’homme s’était déjà prononcée sur la délicate question de la conciliation entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté et de réserve (à propos des fonctionnaires, voir Cour EDH, Gde ch., Arrêt du 12 février 2008, Guja c. Moldovie, n°14277/04). Après quelques balbutiements législatifs, la loi Sapin II a consacré un statut général de lanceur d’alerte tandis que la loi organique du 9 décembre 2016 assigne au Défenseur des droits les missions d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte.
L’article 16 de la loi Sapin consacre un statut de lanceurs d’alerte spécifiquement pour les employés du secteur bancaire et financier. Il introduit dans le code monétaire et financier un chapitre IV intitulé « Signalement des manquements professionnels aux autorités de contrôle compétentes et protection des lanceurs d’alerte ». Le législateur a ainsi mis en conformité le droit français avec le droit de l’Union européenne. Alors que la directive sur le secret d’affaires[2] a cristallisé l’attention dans l’espace public et a été fustigée comme signifiant le primat du marché sur la liberté d’expression, ce ne sont pas moins de cinq actes de droit de l’Union qui imposent aux États membres un dispositif de protection des lanceurs d’alerte[3].
Autonomie procédurale oblige, le législateur de l’Union laisse le soin aux États membres de déterminer les autorités compétentes pour mettre en place les dispositifs. Il exige néanmoins que ceux-ci soient efficaces; l’exigence d’effectivité du droit de l’Union prend ainsi le relais et potentialise les pouvoirs des autorités.
Le législateur français a fait le choix d’imposer à l’Autorité des marchés financiers (AMF) et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de mettre en place des procédures afin de recevoir les alertes lancées par les employés du secteur financier et bancaire. L’article 16 de la loi Sapin II demeure évasif puisqu’il se contente de renvoyer les modalités procédurales au règlement général de l’AMF et à un arrêté ministériel pour l’ACPR[4].
Conformément au droit de l’Union, le législateur impose également aux employeurs du secteur financier de mettre en place « des procédures internes appropriées permettant à leur personnel de signaler toute violation du présent règlement ». L’article L. 634-2 du code monétaire et financier soumet ainsi les entreprises relevant du champ de supervision de l’ACPR ou régulées par l’AMF d’adopter une protection adéquate pour leurs salariés contre « les représailles, la discrimination ou d’autres types de traitement inéquitable ». Toute mesure de rétorsion sera considérée nulle de plein droit, la compétence étant confiée au juge judiciaire, la justification de la mesure devant être apportée par l’employeur.
Enfin, sur la suggestion du Conseil d’État, les dispositions relatives à la protection des données personnelles n’ont pas été reprises par le droit national. Les dispositions de l’article 32 du règlement (UE) n°596/2014 et de l’article 65 du règlement (UE) n°909/2014 s’avèrent suffisantes pour garantir la protection à la fois des personnes ayant adressé un signalement aux autorités que celles mises en cause dans un signalement.
Il est encore prématuré de faire un bilan de cette réforme, d’autant que les entreprises avaient jusqu’au 1er janvier 2018 pour mettre en place leurs dispositifs. Il demeure que l’article 16 de la loi Sapin II est significatif d’une évolution de la perception des marchés financiers en ce qu’elle cherche un équilibre entre régulation par l’autorité et autorégulation par le marché. Le compromis doit ainsi être trouvé entre stabilité financière bien commun du marché, d’un côté, et loyauté et réserve des employés nécessaire aux opérateurs, de l’autre côté.
Professeur Francesco Martucci
Professeur agrégé en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas
Consultant du cabinet Lysias Partners en droit public, droit de l’Union Européenne et finances publiques
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[1] CE, Étude, Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger, 2016 ; voir aussi CE, avis du 28 avril 2016 sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[2] Directive 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ;
[3] Règlement (UE) n°596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché ; Règlement (UE) n°909/2014 du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres ; Règlement (UE) n°1286/2014 du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance ; Règlement (UE) n°600/2014 du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ; Directive n° 2014/91/UE du 23 juillet 2014 modifiant la directive 2009/65/CE concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)
[4] Arrêté du 22 décembre 2017 relatif aux signalements des manquements professionnels à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et à la protection des lanceurs d’alerte
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Cet article est disponible en anglais ici // English version available here
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Cet article vous est présenté dans le cadre d’un partenariat de la Revue des Juristes de Sciences Po avec le cabinet Lysias Partners.
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