Penser la gestation pour autrui : quelques jalons avant de poursuivre la réflexion
Par Marc Pichard, Professeur de droit privé à l’Université Paris Nanterre
Le « droit français de la gestation pour autrui » est en crise – une crise dont on peut identifier deux sources principales.
La première source serait l’intervention, souvent jugée intempestive, de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. En réalité, cette intervention est elle-même liée au développement de pratiques extraterritoriales. Ce sont avant toute chose les actes de naissance et jugements étrangers qui ont mis et mettent encore le droit français à l’épreuve, bien plus que la Cour européenne elle-même – qui ne conteste d’ailleurs pas la légitimité de l’Etat français à encadrer la pratique de la gestation pour autrui sur le territoire national.
La seconde source de trouble dans le droit français de la gestation pour autrui réside dans la méthode choisie pour appréhender le phénomène dans la loi. Un seul article des codes français concerne la gestation pour le compte d’autrui en elle-même et pour elle-même : l’article 16-7 du Code civil. Or cet article a pour effet exclusif de garantir à la gestatrice la place de mère dans le schéma de parenté[1]. Car, quand bien même on admettrait que deux objectifs sont poursuivis par le texte, la protection du corps humain et celle de l’état des personnes, il est patent que la sanction prévue au texte, à savoir la nullité de la convention de gestation pour le compte d’autrui, est radicalement inapte, en elle-même, à protéger les corps tandis qu’elle garantit effectivement la protection de l’état des personnes : malgré la volonté des parties d’effacer la gestatrice du schéma de la filiation, la nullité de la convention lui rendra la place qui, au regard des règles qui gouvernent le droit français de la filiation, devrait être la sienne. Faute de pénalisation du recours à une femme porteuse en lui-même, il n’est pas si évident que l’on puisse dire la convention de gestation pour le compte d’autrui interdite[2] : elle est nulle, et cette nullité n’est efficace que pour garantir l’indisponibilité de l’état. S’il faut y insister, c’est que la technique juridique mise en œuvre correspond parfaitement à la situation connue dans les années 1980, et qui reste la figure à partir de laquelle la gestation pour autrui est pensée dans la majorité de la littérature juridique. La figure « historique » est en effet celle de la femme qui porte un enfant pour le compte d’une autre femme, en couple avec un homme, qui elle-même entend être mère à la place de la première – en quoi il y a bien substitution. Or la sanction prévue à l’article 16-7 du Code civil est absolument inapte à saisir un autre phénomène, que l’on a proposé de qualifier – pour le distinguer et pas le stigmatiser – de « commande d’enfant par son géniteur ». Tandis que la femme qui fait porter son enfant par une autre femme est directement sanctionnée par la nullité de la convention – puisqu’elle ne sera dès lors pas la mère de l’enfant -, l’homme qui fait porter son enfant par une femme ne saurait l’être, pour une raison assez évidente : tout homme fait porter son enfant par une femme. Plus techniquement, l’article 16-7 du Code civil est impuissant à saisir cette situation, parce que, dès lors que cet homme a reconnu l’enfant, il en est le père et que, dès lors qu’il en est le géniteur et qu’il souhaite établir sa paternité, il ne peut pas, au regard des règles qui gouvernent le droit de la filiation du titre VII du livre Ier du Code civil[3], ne pas en être le père[4].
La crise du droit français de la gestation pour autrui se traduit donc très simplement en une mise en défaut du dispositif juridique d’encadrement de la pratique instauré en 1994 – inapte à atteindre le but qui lui est généralement assigné : « interdire la gestation pour autrui ». Le développement de nouvelles pratiques tout à la fois donne à voir l’inefficacité du dispositif juridique et crispe une partie de la communauté des juristes – car les situations en cause sont perçues comme plus anormales encore que la situation à partir de laquelle le droit français a été conçu : s’il n’est pas possible à une femme de devenir mère d’un enfant porté par une autre dans des conditions maitrisables sur le territoire national, comment admettre qu’elle puisse le devenir par une simple délocalisation de la gestation qui rend les contrôles encore plus incertains ? S’il n’est pas possible à une femme privée de facultés gestationnelles à la suite d’une pathologie de devenir mère par recours à une femme porteuse, comment donc admettre qu’un homosexuel puisse devenir père par le même truchement ? Or cette crispation emprunte bien souvent une voie vouée à l’échec : proclamer qu’il y a violation de la loi quand bien même les situations ont été licitement établies à l’étranger si bien qu’il faut solliciter et parfois sur-solliciter des outils du droit international privé pour fonder une sanction – et une sanction souvent fragile dès lors que les actes de naissance ou jugements étrangers eux-mêmes sont hors de portée ; de manière plus inappropriée encore, proclamer qu’il y a violation de la loi quand l’application de l’article 16-7 du Code civil à la commande d’enfant par son géniteur conduit à appliquer les règles du droit de la filiation en vertu desquelles cet homme et seul cet homme peut être dit le père de l’enfant. Partant, s’il y a violation de la loi, ça n’est pas violation de la loi positive mais d’une autre Loi, une Loi venue d’ailleurs, une Loi transcendante.
Parce que le dispositif juridique actuel ne peut plus satisfaire personne, opposants ou défenseurs de la pratique de la gestation pour autrui, il faut donc changer la loi positive. Il faut changer la loi pour assurer l’effectivité de l’interdiction en adaptant les outils aux nouvelles pratiques – probablement en sollicitant le droit pénal pour les sanctionner[5]. Ou bien, il faut changer la loi pour accueillir ces pratiques – le cas échéant en les encadrant. En somme, rouvrir le débat s’impose pour identifier des objectifs clairs et y conformer les règles de droit.
Quels objectifs, dès lors, poursuivre ? Il ne saurait être question de trancher ici le débat. Il s’agit de s’arrêter sur les conditions nécessaires pour que s’ouvre un débat véritable, en somme, de dessiner un cadre propice à la réflexion – en posant quelques jalons. Penser la gestation pour autrui exige de dissiper certaines confusions (I) et d’identifier le cœur du sujet (II).
I. Dissiper les confusions
Penser exige quelques idées claires. Or le débat sur la gestation pour autrui est souvent troublé par des rhétoriques qui empêchent de penser. Deux sources de confusions peuvent en particulier être dénoncées : les pièges du lexique ; la réécriture de l’histoire.
Les pièges du lexique
Ici comme ailleurs, mais ici plus qu’ailleurs peut-être, le langage peut devenir un piège. Car s’il s’agit de penser une question, il convient de ne pas penser en des termes qui en eux-mêmes contiennent la réponse à la question posée. Deux précautions doivent, en particulier, être respectées[6].
D’une part, il faut encore et toujours souligner que l’invocation du « droit à l’enfant » est une formule rhétorique qui empêche de penser. Se demander s’il faut conférer force exécutoire aux conventions par lesquelles un couple d’hommes s’accorde avec une femme pour qu’elle porte un enfant destiné à être celui de ce couple, ce n’est pas exactement la même chose que de se demander s’il faut consacrer un droit à l’enfant aux couples de personnes de même sexe : les implications terminologiques de cette seconde question, « propriété d’une personne » ou « créance d’enfant », condamnent tout débat. Quoi qu’on en ait, car il est des partisans d’une ouverture large des procréations médicalement assistées et de la gestation pour autrui qui soutiennent que ce « droit à l’enfant » devrait être pris au sérieux, la formule constitue un tel repoussoir qu’elle doit être proscrite pour penser la question de manière sereine.
D’autre part, on ne saurait penser la gestation pour autrui en parlant de « mère » porteuse. Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris du 30 janvier 2018 est, à cet égard, emblématique[7] : pour refuser de prononcer l’adoption plénière par le mari du père de l’enfant né, à l’évidence, d’une gestation pour autrui, la cour relève que « rien ne permet en l’espèce d’appréhender les modalités selon lesquelles la mère [nous soulignons] ayant accouché aurait renoncé à l’établissement de la filiation maternelle, et ce de manière définitive, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l’enfant […] été remise à son père ; […] il en est de même, a fortiori, du consentement de la mère [nous soulignons] ayant accouché à l’adoption de l’enfant par le mari du père dans des conditions qui viendraient, s’agissant d’une adoption plénière, rendre impossibles à l’avenir, et de manière complète et irrévocable, tout établissement légal d’un lien de filiation maternelle et toute relation ». Qualifier de « mère » la femme qui a accouché de l’enfant mais n’a établi aucun lien juridique à son égard consiste à poser la réponse dans la question : s’il y a une mère, la question de savoir qui est la mère n’a pas de sens – lorsque l’enfant a été porté pour le compte d’une femme ; s’il y a une mère, elle doit consentir à l’adoption – lorsque l’enfant a été porté pour le compte du mari du père. Mais, précisément, de mère il n’y a pas. La porteuse est, en l’état des connaissances techniques, une femme ; elle n’est pas une mère, ou pas nécessairement, si l’on veut pouvoir penser la question[8].
La réécriture de l’histoire
Un des mythes les plus tenaces est celui de l’évolution continue vers plus de libéralisme qui caractériserait la matière (et à laquelle il conviendrait, de l’opinion majoritaire, de résister). Admettre la gestation pour autrui serait « surfer » sur une tendance des sociétés contemporaines ; lutter contre serait résister contre une vague libérale qui, parce qu’elle discréditerait toute conception du bien, emporterait toutes les valeurs. Il y a là une méprise – qui procède d’une occultation de la construction historique de la matière.
Car les faits ne disent pas cette histoire. Les faits disent que, lorsque la gestation pour autrui s’est assumée comme telle au début des années 1980, elle n’a pas suscité la réprobation unanime, loin de là. Les faits disent qu’une approche libérale de la question particulière de la gestation pour autrui et des procréations médicament assistées en général a pu exister et même pu sembler majoritaire au mitan des années 80, chez les civilistes du moins, pourtant censés être les « gardiens du temple ». En 1985, Mme Michelle Gobert peut juger la question de l’accès des femmes célibataires à l’insémination artificielle avec tiers donneur non problématique[9]. En 1987, M. François Terré estime que la maternité de substitution est, sous certaines conditions, admissible[10]. Les faits disent que la Cour d’appel de Paris a, le 15 juin 1990, prononcé l’adoption plénière de l’enfant né à la suite d’une gestation pour autrui et que le procureur de la Cour d’appel de Paris n’a rien trouvé à redire à cette adoption : selon la Cour, « la maternité de substitution, en tant que libre expression de la volonté et de la responsabilité individuelle de ceux qui y souscrivent, hors de toutes préoccupations lucratives, doit être considérée comme licite et conforme à l’ordre public »[11]. Il faut le rappeler : seul un pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le Procureur général près la Cour de cassation a permis l’arrêt d’assemblée plénière du 31 mai 1991[12].
En somme, l’histoire n’est pas linéaire. Comme le souligne M. Jean-Louis Halpérin, si « les textes qui ont contribué à une libération des femmes et à une plus grande autonomie des personnes relativement à leur corps et à la procréation sont les plus connus »[13], « il faut tenir compte aussi des évolutions législatives et jurisprudentielles qui ont conduit à des intrusions de plus en plus nombreuses de la loi et des juges dans l’intimité de la procréation : développement de la preuve biologique de la filiation depuis la loi de 1972 […] ; interdiction des maternités de substitution par la Cour de cassation en 1991, puis par la loi du 29 juillet 1994 ; limitation de la procréation médicalement assistée aux couples hétérosexuels stériles par ce même texte […]. Au rebours du recours à la fiction par le Code Napoléon, parfois à l’encontre du développement de l’adoption, notre droit ne se montre-t-il pas de plus en plus intrusif sur la vérité et la “normalité” de la procréation […] ? Chacun jugera de la légitimité de ces entraves à l’autonomie personnelle […] mais il nous semble clair que le droit français actuel cherche beaucoup plus à “contrôler” les corps aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans. Si l’on suit la pensée de Michel Foucault, il ne fait guère de doute que la libération des corps (des femmes, des homosexuels, des transsexuels) ne s’est nullement traduite par un droit antidisciplinaire, mais a au contraire confirmé la “colonisation” du droit par les discours scientifiques à prétentions prescriptives (notamment sur la normalité de la procréation) »[14]. Il ne s’agit pas ici de dire que l’intervention du droit est illégitime ; il s’agit uniquement de souligner que l’histoire de la construction du droit de la gestation pour autrui reste à écrire, et que, loin d’être linéaire, elle a connu une période libérale qui met au jour l’absence de nécessité ou d’évidence des – très imparfaites – solutions que fournit le droit positif.
II. Identifier le cœur du sujet
Penser la gestation pour autrui, c’est avant tout penser les droits des femmes porteuses. Avant tout, c’est-à-dire avant les droits de l’enfant, de l’enfant déjà né, tant on ne peut pas penser l’admissibilité d’un processus à partir de son résultat. Partir des droits de l’enfant déjà né pour penser la gestation pour autrui c’est probablement, et à nouveau, fournir la question dans la réponse… Il s’agit certainement d’une bonne stratégie judiciaire pour faire produire des effets en France aux conventions conclues à l’étranger, pas pour penser le phénomène en tant que tel.
En revanche, en amont, les femmes porteuses sont le cœur du sujet. Leurs corps existent, et on ne peut pas les effacer au nom d’une approche purement volontariste de la filiation. L’activité de gestation au bénéfice d’autrui, son sens, son admissibilité, doivent être interrogés. Trois questions peuvent aider à cerner le sujet.
Des femmes peuvent-elles vouloir porter pour autrui ?
La question n’est pas ici celle de savoir si le droit des femmes à disposer de leur corps implique nécessairement l’admission de la gestation pour autrui. Il s’agit de savoir si l’on peut concevoir que des femmes puissent vouloir porter un enfant pour autrui. La possibilité-même de cette volonté est, parfois, contestée. Pourtant, disqualifier de manière générale la possibilité pour les femmes de vouloir porter pour autrui, soutenir qu’elles ne peuvent pas vouloir porter et ne pas vouloir être mères, est une pétition de principe essentialiste que rien ne justifie et qui ne correspond ni à notre tradition juridique ni à notre droit positif. Elle ne correspond pas à notre tradition juridique : jusqu’en 2005, la femme non mariée qui accouchait d’une enfant et ne l’élevait pas comme sien n’en était pas la mère[15]. Elle ne correspond pas au droit positif : dès lors que l’on autorise l’accouchement dans le secret, on admet que les femmes qui portent des enfants n’ont pas nécessairement vocation à en devenir mères[16] – même s’il ne s’agit pas de nier que le système juridique français actuel tend à faire des femmes qui accouchent les mères des enfants accouchés. La femme porteuse peut vouloir ne pas devenir mère. Les juridictions françaises au demeurant l’admettent : en particulier, la Cour d’appel de Paris dans ses arrêts du 30 janvier[17] et du 18 septembre 2018[18] cherche – peut-être à mauvais escient au regard des termes juridiques du débat, c’est une autre question – à établir la réalité de la volonté de la porteuse et, partant, admet la possibilité-même de cette volonté.
Des femmes peuvent-elles vouloir porter pour autrui contre de l’argent ?
Une indemnisation significative et même une rémunération entachent-elles nécessairement la volonté de porter pour autrui d’un vice rédhibitoire ? L’hypothèse est régulièrement avancée qu’une gestation pour autrui « éthique » devrait impérativement être gratuite. Il ne semble toutefois pas raisonnable d’évincer du champ des possibles la gestation pour autrui rémunérée. Car la rémunération de la femme porteuse, loin d’être impensable, aurait l’immense mérite de mettre au jour le travail reproductif, de révéler l’importance essentielle de cette activité domestique – souvent invisibilisée en tant que telle. On peut évidemment critiquer cette extension du domaine du marché[19] ; mais puisque, de fait, le marché régit la plupart des activités humaines, on peut constater que celles qui n’y ont pas accès sont dévalorisées[20]. Partant, l’hypothèse d’une gestation pour autrui rémunérée ne saurait être évincée ab initio.
Dans quel cadre juridique des femmes pourraient-elles vouloir porter pour autrui ?
Le risque d’exploitation des femmes porteuses est évident, et il ne saurait être nié. L’asymétrie économique entre les commanditaires lato sensu[21] et les porteuses est une constante. L’existence du risque n’implique toutefois pas nécessairement l’interdiction de la pratique : chacun aura constaté que le contrat de travail n’est pas interdit pour la raison qu’il existe une asymétrie économique entre la plupart des employeurs, d’une part, et la plupart des salariés, d’autre part. Mais pour éviter de faire des femmes porteuses les victimes libres du marché libre de la procréation, une réglementation est indispensable. Le modèle du droit du travail conduit généralement à penser cette réglementation dans le cadre du contrat entre personnes privées. Là encore, il n’est pas certain qu’il faille de la sorte borner la réflexion.
On constate en effet, en particulier sous la plume des partisans de la gestation pour autrui, un glissement de la liberté des femmes à disposer de leur corps à l’aptitude à consentir à un contrat portant sur leurs capacités gestationnelles. Or que des femmes puissent vouloir porter pour autrui n’implique pas nécessairement admission de la figure du contrat de gestation pour autrui. Comme le rappelle une auteure particulièrement engagée contre la gestation pour autrui, « le contrat n’est […] pas le mode normal d’exercice des libertés. […] La liberté de faire des choix dans tous les domaines de la vie personnelle et notamment de prendre des décisions relatives à son propre corps (avortement, arrêt des soins, pratique d’activités à risque, etc.), n’est pas de l’ordre du contrat. Le droit des contrats a été forgé pour que chacun puisse être tenu au respect de sa parole et de ses engagements alors même qu’il ne le souhaiterait plus ultérieurement. Les libertés, au contraire, sont posées et juridiquement protégées pour que chacun puisse, à tout moment, décider d’agir selon sa volonté, y compris le cas échéant en changeant d’avis »[22]. En d’autres termes, promouvoir la liberté des femmes à disposer de leur corps n’implique pas nécessairement reconnaître l’aptitude des femmes à s’engager contractuellement quant au devenir de leur corps[23]. La différence de logique est patente lorsque l’on se pose la question de l’articulation de l’interruption volontaire de grossesse avec un éventuel contrat de gestation pour autrui : si la liberté des femmes est le soubassement de toute la construction juridique, le périmètre du contrat doit nécessairement être restreint – qui ne saurait obliger les porteuses à mener la grossesse à son terme. En somme, soutenir que la liberté se mesure à l’aptitude à l’aliénation par le contrat peut légitimement laisser perplexe. Au demeurant, le droit de la procréation médicalement assistée avec tiers donneur n’a-t-il pas su s’émanciper du carcan du contrat[24] ? Penser la gestation pour autrui en liberté et au nom de la liberté, c’est aussi s’autoriser à imaginer des cadres juridiques nouveaux pour cette relation particulière entre deux, trois ou quatre personnes. Que la figure traditionnelle du contrat « accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » et qui « tien[t] lieu de loi à ceux qui [l’]ont fai[t] »[25] soit le seul vecteur pour la penser pourrait être reconsidéré … Ce vin nouveau ne mériterait-il pas de nouvelles outres ?
[1] Pour une démonstration plus approfondie, v. Marc Pichard, « La commande d’enfant par son géniteur (est-elle une hypothèse de gestation pour le compte d’autrui ?) », Recueil Dalloz 2017, p. 1143 et s.
[2] A la différence de l’entremise visée par l’article 227-12, al. 3, du Code pénal, au champ d’application plus étroit, ou de la provocation à l’abandon d’enfant et de la simulation ayant entrainé une atteinte à l’état civil de l’enfant, respectivement visées aux articles 227-12, al. 1er, et 227-13 du même code, aux champs d’application plus larges. Rappr. Jean-René Binet, cité infra note 5.
[3] Souvent qualifiée de « charnelle » pour la distinguer de la filiation adoptive, régie par le titre VIII du même livre.
[4] Sous réserve de l’écoulement des délais de prescription applicables en la matière. Contra Rouen 31 mai 2018, n° 17/02084, Dalloz actualité 13 juillet 2018, obs. Aude Mirkovic ; JCP G 8 octobre 2018, 1040, note Jean-René Binet, qui refuse d’établir le lien de filiation entre le géniteur et l’enfant issu d’une « gestation pour autrui ».
[5] En ce sens, v. Jean-René Binet, « Gestation pour autrui : le droit français à la croisée des chemins », Droit de la famille, septembre 2017, ét. 13, n° 19 et s. « Dès lors que la logique conduisant à priver d’effets la GPA pour dissuader d’y avoir recours ne fonctionne plus, le législateur doit adopter une nouvelle politique, fondée sur des moyens que l’on peut suggérer tant en droit interne qu’au plan international. Au plan interne, force est de constater tout d’abord que le maintien du caractère d’ordre public de la nullité de la gestation pour autrui par l’article 16-7 ne suffit pas. Au-delà de la nullité de la convention, il serait précieux d’ajouter que le recours à la gestation pour autrui est interdit. […] Le législateur pourrait, demain, ajouter à l’article 16-7 un alinéa 2 prévoyant qu’“est interdit tout recours à l’une des techniques envisagées à l’alinéa précédent”. Ainsi, les choses seraient plus claires. Il faudrait en outre assortir l’interdiction du recours à la GPA de conséquences explicites et, bien sûr, prévoir des sanctions pénales nouvelles ».
[6] D’autres pourraient être signalées : l’expression « tourisme procréatif » porte en elle la condamnation du phénomène qu’elle prétend décrire.
[7] Paris, 30 janvier 2018, JCP G 26 mars 2018, n° 345, note Lucile Lambert-Garrel et François Vialla ; AJ famille 2018, p. 139, obs. Amélie Dionisi-Peyrusse ; p. 171, obs. Adeline Le Gouvello ; Dalloz actualité 14 février 2018, obs. Manon Borde ; Dr. famille, avril 2018, comm. 92, obs. Hugues Fulchiron.
[8] En ce sens, v. Lucette Khaïat, « Conclusion. N’ayez pas peur ! », in Cécile Marchal et al., La maîtrise de la vie, ERES « Enfance & parentalité », 2012, p. 251 et s., p. 257 : « : « Si l’on appelait ces femmes généreuses de leur vrai nom : “femmes porteuses”, on ne leur ferait plus l’injure de dire ou de laisser entendre qu’elles abandonnent leur enfant alors qu’elles consacrent neuf mois de leur vie, de leur sollicitude, de leur affection, à aider une autre femme à devenir la mère de cet enfant ». Au vrai, il faudrait également éviter de parler de parent ou de mère d’intention – la qualification de « parent » ou de « mère » contenant elle-même la réponse à la question posée.
[9] Michelle Gobert, « Les incidences juridiques des progrès des sciences biologique et médicale sur le droit des personnes », in Génétique, procréation et droit, Actes sud, 1985, p. 161 et s., spéc. p. 179 et s. : « Deux hypothèses peuvent, aisément, être détachées car elles ne posent pas de réels problèmes juridiques. Si l’on a coutume de dire le contraire c’est parce que l’on a fâcheusement confondu la législation existante et la série de règles que des organismes, les CECOS […], se sont posées à eux-mêmes dans la pratique des inséminations artificielles. Ces deux hypothèses sont celles de l’insémination de la femme célibataire d’une part et, d’autre part, de la veuve […]. Comment s’opposer à la liberté pour la femme de pouvoir choisir le mode de procréation alors que, depuis un arrêt du Conseil d’Etat du 31 octobre 1980, elle jouit de la liberté exclusive d’avorter ? Au nom de quoi maintenir l’inégalité entre les femmes qui refusent d’avoir un enfant par les moyens naturels, si l’on continue de permettre que les unes satisfassent leur désir de maternité par le subterfuge de l’adoption tandis que les autres lui préfèreraient celui de l’insémination artificielle qui présente l’avantage sur le précédent de leur donner la possibilité d’avoir un enfant qui soit le leur ? ».
[10] François Terré, L’enfant de l’esclave, Génétique et droit, Flammarion, 1987, spéc. p. 183 et s. : « Il est possible d’aboutir à une conclusion libérale et de ne pas condamner la maternité pour autrui. Les raisons qui inspirent celle-ci peuvent illustrer une solidarité entre les femmes répondant à une loi de la nature. Si l’on évite de raisonner sur les cas extrêmes, on doit admettre que le lien biologique, évacué en cas d’insémination avec donneur de gamètes, peut aussi reculer en cas de maternité pour autrui ».
[11] Paris, 15 juin 1990, JCP G 1991, II, 21653, note Bernard Edelman et Catherine Labrusse-Riou.
[12] Pour une discussion de l’orthodoxie de la procédure, v. Michelle Gobert, « Réflexions sur les sources du droit et les “principes” d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes (A propos de la maternité de substitution) », RTDciv. 1992.489, n° 3 et s.
[13] Jean-Louis Halpérin, « Le contrôle de la procréation par le droit au cours de l’histoire », in Cécile Marchal et al., La maîtrise de la vie, préc., p. 57 et s., p. 67.
[14] Ibid. p. 68-69.
[15] Avant l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, la femme ayant accouché de l’enfant devait reconnaître l’enfant pour en être la mère ; à défaut, la possession d’état devait être constituée pour que l’enfant ait une mère. L’acte de naissance établi à partir de la déclaration de naissance constatant l’accouchement ne permettait l’établissement de la maternité qu’à l’égard des femmes mariées.
[16] Même si, depuis la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 préc., l’accouchement dans le secret ne met plus à l’abri d’une action en recherche de maternité.
[17] Paris, 30 janvier 2018, préc.
[18] Paris, 18 septembre 2018 (deux arrêts), AJ famille 2018, p. 616, obs. Amélie Dionisi-Peyrusse ; Dr. famille nov. 2018, comm. 260, obs. Hugues Fulchiron.
[19] Et il faut admettre qu’il est au premier abord perturbant d’entendre évoquées « la valeur créée par la femme porteuse » ou la « spoliation de la richesse créée par la femme porteuse » (Frank-Adrien Papon, Pour une GPA responsable en France. La famille pour tous, Génération Libre, septembre 2017, p. 50 et p. 60).
[20] En ce sens, v. Lori B. Andrews, « Beyond Doctrinal Boundaries : A Legal Framework for Surrogate Motherhood », Virginia Law Review, 1995, p. 2366 (disponible en ligne : https://scholarship.kentlaw.iit.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.com/&httpsredir=1&article=1005&context=fac_schol), cité et traduit par Muriel Fabre-Magnan, La gestation pour autrui. Fictions et réalité, Fayard, 2013, p. 104 : « Il est perturbant que, dans la plupart des cas où la société suggère qu’une certaine activité soit exercée par altruisme, plutôt que pour de l’argent, il s’agisse généralement d’une activité féminine. Cela perpétue la dévaluation des activités féminines dans une société qui est basée sur un système de marché ».
[21] Pour ne pas évoquer les « parents » d’intention : v. supra note 8.
[22] Muriel Fabre-Magnan, L’institution de la liberté, PUF, 2018, p. 57. Le titre de l’ouvrage fait écho à la note de Bernard Edelman et Catherine Labrusse-Riou sous Paris, 15 juin 1990, préc., qui, à propos de la décision qu’ils jugent « provocatrice » (ibid., n° 1), écrivent : « Ainsi, on se rapprocherait, bon gré mal gré, de la notion anglo-saxonne de “privacy”, où l’on considère que la meilleure manière de défendre la personne ce n’est point tant d’instituer sa liberté, mais de lui reconnaitre de nouvelles libertés envers elle-même, envers autrui et envers l’Etat » (n° 4). De manière générale, il faut souligner à quel point cette note apparaît fondatrice, qui avance déjà les principaux arguments encore mobilisés par les opposants à la gestation pour autrui. Ainsi les auteurs soulignent-ils que « l’homologie faite entre les capacités gestatrices et les autres dérogations est parfaitement sophistique » (n° 14) et dénoncent le « remarquable sophisme [selon lequel] un contrat de gestation pour autrui n’est valable que parce qu’il ne peut être respecté » (n° 30), quand Mme Frison-Roche dénonce dans un article de 2014 la « sophistique » à l’œuvre chez les défenseurs de la gestation pour autrui (Marie-Anne Frison-Roche, « Sophistique juridique et GPA », Recueil Dalloz 2016, p. 85). Aussi se demandent-ils si « la fraude ne devrait […] pas rendre la reconnaissance paternelle inopposable au juge » (n° 26) – solution un temps adoptée par la Cour de cassation (v. Cass. 1re civ 13 septembre 2013, pourvois n° 12-18315 et 12-30138, Bull. I n° 176). Encore déplorent-ils, avec le développement des techniques de procréation assistée, l’émergence d’un « droit à l’enfant » (n° 31).
[23] Rappr. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis 129, « Contribution du Comité consultatif national d’éthique à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019 », p. 123 : « Le CCNE a aussi examiné l’argument selon lequel l’interdiction de la GPA serait une atteinte à la liberté des femmes d’être gestatrices. Toutefois, il considère que n’est pas une liberté celle qui permet à la femme de renoncer par contrat à certaines de ses libertés (liberté de mouvement, de vie de famille, soins indispensables à sa santé) ».
[24] V. en part. l’article L. 1244-2, al. 1, du Code de la santé publique : « Le consentement des donneurs et, s’ils font partie d’un couple, celui de l’autre membre du couple […] peuvent être révoqués à tout moment jusqu’à l’utilisation des gamètes ».
[25] Article 1101 et 1103 du Code civil.