Perspectives comparées sur la GPA
Par Claire Marzo, juriste (MCF, Université Paris-Est)
Appréhender la gestation pour autrui (ou GPA) requiert trois perspectives complémentaires :
Une perspective comparée tout d’abord : il est absolument nécessaire quand on parle de GPA, de prendre en compte l’internationalité du sujet. Bien que certaines GPA aient un contexte purement national, il est fréquent que l’interdiction posée dans un pays conduise des familles à traverser une frontière de façon à pouvoir réaliser leur désir d’enfant en se rendant dans un pays qui rend la procédure possible. La question est alors posée de permettre juridiquement le retour de l’enfant, ce qui implique de comparer les législations.
Une perspective juridique apparaît aussi nécessairement au sens où, au-delà de l’entrée légale d’un enfant né de GPA dans un pays donné, le juriste se pose aussi la question du standard de protection de des enfants en général. On doit chercher à comprendre quelles sont les règles indérogeables d’un socle de droit commun de protection des droits de l’enfant sans parler de la protection des autres parties telles que les parents d’intention ou la femme porteuse.
Nous choisirons enfin une perspective européenne. Les règles en matière de GPA sont extrêmement variées et au-delà des débats éthiques, philosophiques ou médiatiques, il existe une diversité juridique qui dépasse l’entendement. Face à des pays qui interdisent expressément la GPA, d’autres pays l’autorisent expressément. Il faut encore compter des pays qui interdisent la GPA à des fins commerciales et un grand nombre de pays qui n’ont pas de cadre juridique explicite ou clair.
Ce manque de clarté peut conduire à des fraudes, à des illégalités qui conduisent à des situations de souffrance pour les familles, pour les enfants, pour les femmes porteuses et qui appellent, me semble-t-il, à un besoin de légiférer.
La prise en compte pragmatique de la réalité sociale d’un nombre d’enfants toujours plus grand qui naissent par le biais d’une GPA appelle une organisation des rapports juridiques des différentes parties. Et bien souvent pour pallier le manque législatif, ce sont les Cours de justice qui se trouvent obligées de prendre position. La question se pose au niveau national comme au niveau supranational. Un cadre juridique général pourrait prendre en compte la question de la protection de l’intérêt des parties en cause en distinguant entre la protection de l’intérêt de l’enfant, la protection de la femme porteuse, la protection des parents d’intention et encore la protection des parents biologiques.
Ce sujet serait trop vaste et j’ai décidé de limiter mon intervention au sujet du congé de maternité pour les parents d’intention, en fait pour les mères d’intention, au niveau européen et plus précisément au Royaume Uni et en Irlande.
C’est une question qui est moins marginale que ce qu’on pourrait imaginer : elle prend en compte les différentes parties susmentionnées et par conséquent envisage le commencement de l’élaboration d’un cadre juridique, en prenant aussi en compte le point de vue de l’Etat dans une double acception : l’Etat régulateur ou souverain d’une part et l’Etat providence d’autre part en lien avec les développements de ce matin relatifs au service public et à l’Etat en situation d’accorder ou non un congé de maternité à la mère d’intention qui accueille un enfant né par GPA.
Après avoir envisagé deux importants arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), je considérerai leurs effets à la fois en droit britannique et en droit irlandais, pour finalement poser la question de l’avancement vers un certain cadre juridique et la reconnaissance de la primauté de l’intérêt de l’enfant en passant par une analyse des arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
D’abord, en droit de l’Union européenne, deux arrêts CD contre ST et Z ont été rendus en 2014. Dans les deux espèces, deux familles ont chacune recouru à des conventions de mère-porteuse pour obtenir un enfant. Dans les deux cas, les requérantes ont demandé à leur employeur de leur donner un congé de maternité. Dans les deux cas, les requérantes n’ont pas obtenu de congé de maternité et dans les deux cas, les Cours (britannique et irlandaise) ont posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Une différence néanmoins : dans la première affaire, la mère d’intention a pu allaiter l’enfant quand elle l’a recueilli ; dans le deuxième cas, au contraire, la requérante ou mère d’intention souffrait d’un handicap, une absence congénitale d’utérus qui l’empêchait d’avoir des enfants.
La Cour répond à ces deux questions préjudicielles en se fondant sur deux domaines distincts du droit de l’Union. En droit social, la Cour analyse la directive 92/85 afin de voir si la requérante peut obtenir un congé de maternité. Cette directive dispose que les femmes ne peuvent avoir un congé de maternité que si elles ont été enceintes. La Cour identifie deux objectifs : la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse ainsi qu’à la suite de celle-ci qui va conduire au congé ainsi que « la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période postérieure à la grossesse et à l’accouchement en évitant que ces rapports ne soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultanée d’une activité professionnelle ».
Si ce considérant 34 relève les deux éléments principaux, c’est-à-dire à la fois la condition biologique ou physique de la femme et sa protection sociétale qui tient aux rapports particuliers entre la femme et son enfant, la Cour décidera finalement de dire que la travailleuse qui n’a pas été enceinte et qui n’a pas accouché ne peut pas bénéficier de la protection entendue comme un soutien physique et non pas social. La Cour décide encore qu’elle ne prendra pas en compte le fait que la requérante allaitait dans l’arrêt CD c/ ST bien que cette notion apparaisse dans le titre de la directive qui protège les femmes enceinte et allaitante.
C’est donc une analyse très littérale que la Cour propose. On trouve ici, une volonté de la Cour de ne pas contraindre les Etats ou plutôt de laisser le choix aux Etats membres d’étendre le congé de maternité aux femmes qui ont eu recours à la GPA.
L’autre domaine de droit utilisé par la CJUE est celui de l’égalité. Dans les deux arrêts, la Cour va fonder son argumentation sur un bon nombre d’articles qui ont eux traits à l’interdiction des discriminations. C’est en particulier la directive 2006/54 mais aussi la charte des droits fondamentaux ainsi qu’un bon nombre d’articles du TFUE. L’idée est ici de dire qu’il y aurait une discrimination fondée sur le sexe dans le fait qu’un employeur pourrait refuser d’accorder un congé de maternité à une mère commanditaire dans une situation de GPA. La Cour refuse d’identifier une telle discrimination parce que la comparaison d’un homme et d’une femme montre que le père commanditaire qui aurait procédé à la même mécanique serait traité exactement de la même manière que la mère qui n’aurait pas eu son congé de maternité. L’argument est donc écarté. Encore une fois, il faut noter que l’analyse de la Cour aurait pu être tout à fait différente en particulier à la lumière de l’article 2 de la directive qui promeut l’idée que tout traitement moins favorable d’une femme liée à la grossesse ou au congé de maternité constitue une discrimination et étend le champ d’application de l’interdiction des discriminations. La même analyse est proposée concernant le congé d’adoption à la lumière de la discrimination fondée sur le sexe.
Toujours dans le domaine de l’égalité, l’une des requérantes identifie une discrimination fondée sur le handicap. Dans l’arrêt Z, la requérante précisait qu’elle n’avait pas d’utérus et qu’elle considérait qu’elle était, elle, victime d’un handicap qui l’empêchait d’avoir un enfant. Ici la Cour, va encore une fois rejeter l’argument de l’égalité en considérant que le handicap de la directive 2000/78 doit être entendu et pris en compte seulement quand on s’intéresse à la vie professionnelle et à la participation pleine et effective de la personne concernée à ladite vie professionnelle. Dans cette affaire, il ne s’agit pas de vie professionnelle parce qu’il s’agit pour la requérante d’avoir un enfant, ce qui ressort de sa vie familiale. Par conséquent, l’argument est écarté. Là encore on aurait pu choisir une interprétation extensive en s’appuyant par exemple sur l’arrêt Coleman qui proposait une interprétation extensive de la discrimination. Ce que j’essaye de dire ici, d’une façon très simple est que chaque argument donné par la Cour et chaque base juridique utilisée par la Cour aurait pu être interprété de façon tout à fait opposée. Et d’ailleurs, il est intéressant de noter qu’à la suite de ces deux arrêts qui ne contraignent pas les Etats, les deux Etats en cause vont choisir deux attitudes tout à fait opposées qu’il faut envisager : le Royaume Uni d’un côté et l’Irlande de l’autre.
D’abord, le Royaume Uni est un pays qui ne pose pas d’interdiction systématique de la GPA. Deux lois, le Surrogacy Act 1995 et Human Fertilisation and Embrory Act de 2008, permettent et organisent le transfert de parentalité sous certaines conditions. Surtout un projet est attendu au printemps 2019 qui devrait encore transformer la loi britannique sur la GPA. Qu’en est-il du congé de maternité en droit britannique ? Une évolution a eu lieu avec le Children and Families Act de 2014 qui accorde une protection, un congé et une allocation équivalent à un congé de maternité aux parents britanniques dont les enfants sont nés par GPA. Le Royaume Uni a donc clairement fait le choix d’accorder un congé de maternité aux mères d’intention et potentiellement aussi aux pères d’intention.
En Irlande à l’inverse, la gestation pour autrui n’est pas règlementée. On a même a priori des difficultés puisque la Constitution irlandaise est rattachée à la religion chrétienne même si on sait par ailleurs que la mention de la religion n’a pas nécessairement une influence sur la religiosité de cet Etat. Malgré l’existence d’une commission en 2014 qui prônait l’insertion de la GPA dans la loi irlandaise, il n’y a pas eu d’évolution. La loi sur le congé de maternité permet aux femmes d’avoir un congé de maternité mais ne s‘étend pas aux femmes qui ont recouru à la GPA. Plusieurs évolutions législatives sont à noter, mais je passerai rapidement en disant que le pas n’a pas encore été franchi.
Finalement la question qui se pose à la lumière de ces situations tout à fait divergentes est celle de savoir s’il est possible d’identifier un intérêt supérieur de l’enfant, si le congé de maternité pourrait constituer en soi, un élément d’un cadre juridique de base sur la GPA. La question n’a pas été posée à la CEDH mais il faut noter avec les arrêts Mennesson, Labori et encore D et Paradiso, que la Cour européenne des droits de l’homme vacille, du moins n’a pas encore une jurisprudence claire en matière de standard et de protection des droits de l’enfant et des parents. Il me semble que c’est pourtant le point important. A partir du moment où on considère qu’il est important de prendre en compte la réalité de la GPA, il est nécessaire aussi de répondre aux questions juridiques qui se posent et prendre en compte les différents intérêts des différentes parties et en particulier ceux de l’enfant.
L’élément clé, qu’on a déjà aperçu au moins dans l’affaire Mennesson, est la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant, c’est la transcription de l’acte de l’état civil, c’est la reconnaissance de la filiation, cet enfant qui n’a pas demandé à naître et qui doit être reconnu et rattaché à la société. Est-ce que cet intérêt supérieur de l’enfant pourrait inclure aussi le congé de maternité de sa mère d’intention (ou même de son père) ? Les arguments sont nombreux. Au-delà de l’argument biologique (parfois l’argument de l’allaitement), l’argument sociétal du lien à faire naître entre la mère et l’enfant semble parlant.
La CEDH tient néanmoins à prendre en compte la marge d’appréciation de l’Etat et comme elle l’explique, « les délicates interrogations éthiques que ce problème suscite en l’absence de consensus en Europe ». Cet argument est fort, mais il me semble léger face aux difficultés pratiques des familles.
Mais j’aimerais conclure, au-delà de l’analyse des différents arguments juridiques évoqués, avec un problème relativement neuf : ces nouvelles questions montrent les limites de l’interprétation juridique. Tant qu’il n’existe pas une législation claire et précise dans un domaine donné, les textes qui sont censés protéger les individus – et plus encore les droits fondamentaux – peuvent être interprétés dans un sens ou dans un autre et finalement n’apportent aucune réponse, aucune sécurité juridique.
Cette difficulté laisse le juriste démuni face à la question de la GPA parce qu’il n’a pas encore les outils pour prendre en compte la réalité pragmatique de la multiplication des affaires de GPA, en particulier lorsqu’elles sont internationales.