La réception des Special Purpose Acquisition Companies (SPACs) en droit français
AJSP | Posted on |
Par Alexandre Capel, étudiant au sein du Master Droit économique,
Les décennies précédentes ont démontré qu’en matière boursière l’imagination était au pouvoir. La dernière innovation en date, celle des Special Purposes Acquisition Companies (« SPACs »), s’inscrit parfaitement dans cette lignée[1].
Loin d’être un mécanisme nouveau[2], les SPACs connaissent un succès fulgurant depuis 2019, d’abord aux États-Unis[3]puis désormais en Europe. Très concrètement, il s’agit de sociétés dénuées de toute activité opérationnelle s’introduisant en Bourse (Initial Public Offering – « IPO ») afin de lever des fonds pour financer (au moins) une opération de fusion-acquisition avec une société non-cotée qui n’est pas encore identifiée lors de la cotation du SPAC. Les SPACs sont promus et gérés par des fondateurs (« sponsors ») dont les ressources financières et l’expertise doivent respectivement permettre d’assumer les coûts liés à la constitution de la société et une identification efficace des sociétés cibles. Si aucune opération de fusion-acquisition n’intervient, en général, dans les deux ans, le SPAC est liquidé et les fonds sont redistribués aux investisseurs. Le recours à ce type de véhicule d’investissement alternatif permet, pour les sponsors de limiter le contenu du prospectus du SPAC et pour la société cible d’accéder plus rapidement à la cotation en s’affranchissant de certaines contraintes entourant les IPO traditionnelles[4]. Si les avantages sont bien réels, ils ne sauraient pour autant masquer les risques financiers ou de conflits d’intérêts susceptibles de survenir. C’est sûrement pour ces raisons que de nombreux superviseurs boursiers européens s’intéressent de plus en plus à « cette nouvelle façon de se coter en Bourse »[5]. En France, l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») a pu démontrer, dans une actualité[6] et une étude[7] d’avril et juillet 2021, l’absence d’obstacles dirimants à la réception de tels véhicules en droit français tout en rappelant certaines exigences visant à protéger les investisseurs.
L’absence d’obstacles dirimants à la réception des SPACs en droit français
A rebours de certains pays étrangers, qui se sont dotés d’une règlementation propre aux SPACs, la France ne dispose pas d’un corpus de règles spécifiques à ce type de véhicule. Toutefois, l’existence de plusieurs SPACs côtés sur la place de Paris (2MX Organic, Accor Acquisition Company, Transition, I2PO) témoigne de la souplesse du cadre juridique français, lequel offre de nombreux outils. Afin d’en témoigner, le présent article reprendra le cycle de vie du SPAC, de sa constitution (A), à son fonctionnement pré-acquisition (B), jusqu’à la réalisation de la de-SPAC (C).
A – La constitution du SPAC
§1er La forme sociale – Dès la constitution du SPAC, les facteurs pris en compte dans le choix de la forme sociale, résident dans la possibilité d’émettre : (i) des actions de catégories différentes et (ii) des valeurs mobilières. Ceci doit permettre d’attribuer aux sponsors et investisseurs sollicités des droits politiques et patrimoniaux distincts. Prévu aux articles L. 228-91 et suivants, le régime des valeurs mobilières composées admet ce dernier mécanisme. Les articles L. 228-11 et suivants du Code de commerce[8] qui encadrent le régime des actions de préférence autorisent le premier mécanisme, lequel est réservé exclusivement aux sociétés par actions (SA, SCA, SAS). Il faut préciser, dès à présent, qu’un SPAC ayant dès l’origine vocation à être coté, seule une forme sociale compatible avec la cote peut être retenue, ce qui exclut d’emblée la Société par Action Simplifiée (SAS). Ainsi, en droit français, il semblerait que la forme de la Société Anonyme (SA) soit la plus plébiscitée par les SPACs tricolores puisque tous l’ont jusqu’à présent adoptés. Certains préférant une structure dualiste à directoire et conseil de surveillance tandis que d’autres ont opté pour une structure moniste à conseil d’administration. En outre, même si aucun SPACs n’a encore opté pour la forme sociale de la Société en Commandite par Actions (SCA), celle-ci est loin d’être dénuée d’intérêt. En effet, le recours à la SCA permettrait de constituer un SPAC à capital variable, ce qui faciliterait les opérations sur capital, et de se prémunir contre d’éventuelles offres publiques non sollicitées[9]. Malgré ces avantages, cette forme sociale diffère du modèle traditionnel du SPAC et demeure largement méconnue des investisseurs étrangers. Enfin, le recours à la Société Européenne (SE) pourrait être envisagé compte tenu du double avantage qu’elle offre : la souplesse du modèle de la SA et la facilité de transfert du siège lors du de-SPAC, sans que celui-ci ne donne lieu ni à dissolution, ni à création d’une personne morale nouvelle.
§2nd La levée de fonds – La levée de fonds invite à distinguer la situation des investisseurs et celles des sponsors. Ces derniers, en ce qu’ils sont des « actionnaires particuliers » du SPAC, sont amenés à détenir des bons de souscription d’actions (« founders’ warrants») mais surtout des « actions de fondateur» (« founders’ shares »). Elles ont généralement été souscrites par les sponsors à un prix équivalent à 2 à 3% du prix de souscription des titres au moment de l’IPO, et donnent droit à l’attribution de droits de vote et d’une partie du capital supérieure au montant de leurs apports[10]. Afin d’assurer un alignement des intérêts avec les investisseurs, ces actions ne sont pas rachetables, ni négociables et ne pourront être converties en actions ordinaires cotées qu’après réalisation de la de-SPAC. Enfin, en cas de liquidation de la société, les sponsors disposent d’un droit dévalué sur la répartition du boni de liquidation. Les investisseurs quant à eux souscrivent à des « actions de marchés » (« investors’ shares »), qui sont des actions de préférence rachetables, et à des bons de souscription d’actions (« investors’ warrant ») qui leurs permettront d’acquérir ultérieurement[11] des actions à un prix déterminé. Au-delà de ces règles spécifiques aux sponsors et aux investisseurs, la levée de fonds conduit aussi à envisager les modalités de cotation du SPAC lui-même. Comme dans toute IPO, doit être respectée une obligation d’information des investisseurs, laquelle nécessite l’émission d’un prospectus. Conformément au Règlement Prospectus du 14 juin 2017 et des règles Euronext celui-ci doit contenir certaines informations obligatoires. Or, certaines de ces informations semblent, a priori, difficilement compatibles avec la nature même du SPAC. En effet, comment fournir les états financiers annuels des trois dernières années précédant l’IPO ou encore une description détaillée de l’activité de la société, quand le SPAC n’existe nécessairement que depuis quelque mois et n’exerce aucune activité opérationnelle ? Là encore le cadre législatif et règlementaire offre la souplesse nécessaire puisque l’article 18, alinéa 2 du Règlement précité permet de déroger à ces mentions informatives « sous réserve de la communication d’une information adéquate aux investisseurs ». Plus encore, l’article 6302/2 des règles harmonisées Euronext permet de passer outre ces informations si l’activité de l’émetteur le justifie. De la même façon, le Code de commerce admet aux articles L. 225-2 et suivants, la constitution d’une société par le biais d’une offre au public, alors même qu’une telle société sera, par définition, incapable de fournir des documents relatant ses trois derniers exercices financiers. En contrepartie de cette souplesse, qui tient compte des spécificités propres aux SPACs, l’AMF exige néanmoins que l’information délivrée aux investisseurs soit « la plus complète et compréhensible possible »[12].
B – Le fonctionnement du SPAC pré-acquisition
§1er Le séquestre des fonds levés – Une fois l’IPO réalisée, les sommes levées par le SPAC doivent être consignées dans l’attente de la réalisation de l’opération d’acquisition. Si cette consignation passe aux États-Unis par un trust, la technique du séquestre, qu’offre le droit français, assure la même fonction. Le séquestre de fond, qui peut être établi par simple contrat[13], consiste à confier à un établissement bancaire le soin d’administrer des sommes placées, jusqu’à la réalisation d’un évènement déterminé. Ce mécanisme est non seulement nécessaire au bon fonctionnement du véhicule d’investissement mais représente aussi une garantie financière pour les investisseurs. En effet, dans le cadre d’un SPAC, le séquestre assure à ces derniers que la société dispose d’assez de fonds pour (i) racheter leurs actions s’ils souhaitent exercer leur droit de rétractation, ou (ii) soit en mesure de rembourser leurs investissements en cas de liquidation anticipée. En France, les premiers SPACs constitués ont ainsi pu bénéficier d’un séquestre de la Caisse des dépôts et consignations.
§2nd La recherche de la cible – L’équipe dirigeante du SPAC dispose en principe d’une grande latitude dans la recherche de la société cible. Néanmoins, cette liberté ne saurait être totale puisque ces derniers disposent d’une période limitée pour réaliser la de-SPAC. En effet, au-delà du délai prévu par les statuts et à défaut d’acquisition au cours de celui-ci, la liquidation de la société sera prononcée et les règles de remboursement et d’attribution du boni de la liquidation, précédemment explicitées, trouveront, dès lors, à s’appliquer. Si la durée de vie classique d’un SPAC est généralement fixée à 24 mois à compter de l’IPO, il est possible, selon l’état du marché, de faire évoluer ce paramètre à la hausse ou à la baisse. En droit français, cela est rendu plus aisé puisque la détermination de la durée de vie du SPAC relève entièrement de la liberté statutaire et non pas de la loi, laquelle se borne seulement à fixer la durée maximale. Dans tous les cas, il faut bien comprendre que le maintien de la de-SPAC dans une fenêtre temporelle raisonnable, doit être motivée par la volonté d’éviter que l’acquisition ne se réalise dans une trop grande précipitation. Plus au-delà, la recherche de la cible doit respecter certaines règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts. L’expérience américaine illustre qu’il s’agit là d’un des risques majeurs attachés aux SPACs puisque les sponsors pourraient être amenés à favoriser une entreprise cible dans laquelle ils ont des intérêts. Ce risque existe tout autant en France, comme l’illustre l’étude de l’AMF du 2 juillet 2021. Pour contrer ces abus, le droit français n’est pas en reste. Il prévoit des mécanismes préventifs qui ont pour effets de (i) rendre indisponible ou peu liquide la participation des sponsors (non-cotation des founders’ shares, engagements de conservation) ou (ii) d’empêcher les sponsors de présenter aux investisseurs des sociétés cibles dans lesquels ils sont intéressés (dispositions limitatives de pouvoirs contenues dans les statuts, conventions règlementées, obligation de réunion d’une assemblée générale pour valider l’opération).
C – La réalisation de la de-SPAC
§1er L’acquisition de la cible – La réalisation de la de-SPAC marque la dernière étape du cycle de vie du SPAC. Elle intervient une fois que la cible est sélectionnée. Néanmoins, ce choix doit encore être validé par les organes compétents. Outre le vote de l’équipe dirigeante, à la majorité simple ou qualifiée, la pratique tend également à conditionner le choix de la cible à un vote favorable de l’assemblée générale des investisseurs ou du conseil d’administration[14]. En droit français, il semblerait que c’est davantage à ce dernier organe que revient la charge d’adopter de telles décisions stratégiques ne portant pas modifications des statuts[15]. A ce jour, l’AMF n’a pas encore estimé opportun d’imposer un vote en assemblée générale dans le cadre spécifique des SPACs. Toutefois, il n’est pas exclu, au vu des spécificités propres à ce type de véhicule et des pratiques étrangères, que celle-ci puisse recommander, à l’avenir, un vote des investisseurs au moment de la de-SPAC. Dans tous les cas, ces derniers disposent d’un droit de rétractation s’ils se montrent récalcitrant vis-à-vis de l’opération projetée. Dès lors, le SPAC proposera à ces investisseurs le rachat de leurs titres, en général, à hauteur du prix de souscription initial. En droit français, cela est rendu possible par le mécanisme des actions de préférence rachetables[16].
§2nd Le dénouement de la de-SPAC – En pratique la de-SPAC peut passer par de nombreux procédés, tous envisagés et autorisés par la règlementation française. Il est d’abord possible de réaliser cette dernière par voie d’acquisition pure et simple. Dans ce cadre, les actions de la société cible seront achetées directement par le SPAC et les actionnaires de la cible ne pourront pas directement devenir actionnaires du SPAC. De plus, l’opération sera conditionnée à l’existence des fonds nécessaires pour procéder à l’achat des titres. Compte tenu de l’insuffisance de trésorerie qu’on peut observer en pratique, il n’est donc pas rare que les SPACs, à l’approche de l’acquisition, lèvent des fonds supplémentaires auprès d’un ou de plusieurs investisseurs institutionnels. Il est utile de rappeler qu’il existe, en général, une interdiction de réaliser des opérations d’acquisition pour un montant inférieur à 75 ou 80% des sommes collectées. Prévu à l’article L. 225-138 du Code de commerce, le régime des augmentations de capital réservées peut être très utile, puisqu’il permet de faire entrer un nombre déterminé de nouveaux investisseurs qui seront appelés à apporter le reliquat de financement au SPAC. Au-delà de l’acquisition, il est aussi possible de procéder à la de-SPAC par voie d’apport en nature. Ce procédé est d’ailleurs fréquemment utilisé en pratique. Dans ce cadre, l’opération est réalisée par l’apport de l’intégralité des actions de la société cible au SPAC, lequel procédera, en contrepartie, à l’émission d’actions nouvelles au bénéfice des actionnaires de la cible. Par conséquent, il sera nécessaire (i) de rédiger un prospectus d’émission et (ii) de procéder à une augmentation de capital. Enfin, l’opération pourra prendre la forme d’une fusion-absorption de la cible par le SPAC, d’une fusion inversée du SPAC par la cible ou encore d’une fusion-création. Ces trois dernières modalités sont intéressantes en ce qu’elles permettent (i) de réaliser directement la de-SPAC (ii) tout en autorisant la cible à avoir rapidement accès à la cote. Néanmoins, un SPAC Corporate ayant vocation à conserver une participation, même minoritaire, au sein de sa société cible, il apparaît qu’un dénouement par voie de fusion n’est pas souhaitable.
A l’analyse, le droit français apparaît ainsi à même d’accueillir les SPACs. Qu’il s’agisse des modalités de constitution, de fonctionnement pré-acquisition ou de réalisation de la de-SPAC, chaque étape du cycle de vie du véhicule est assurée par les mécanismes qui existent déjà en droit français. Certains auteurs vont même jusqu’à dire, peut-être de façon présomptueuse, que celui-ci permet une « réplication presque parfaite » de la SPAC américaine[17]. Il faut aussi dire que l’absence de règlementation spécifique fait que le droit français conserve une certaine souplesse, laquelle permet d’intégrer plus facilement les pratiques de marchés actuelles ou futures. De plus, il prévoit aussi des garanties « offrant une protection appropriée aux investisseurs »[18]. Malgré ces qualités, force est de constater que certains sponsorsfrançais ou étrangers ne choisissent pas Paris, mais plutôt les États-Unis ou encore Amsterdam comme places de cotation. Pour améliorer la compétitivité de la place parisienne, il est à noter que le rapport ad hoc du Club des juristes[19] de décembre 2021 propose des perspectivistes d’aménagement du cadre juridique français.
[1] Pierre-Henri Conac, L’AMF s’intéresse aux Special Purposes Acquisitions Companies (SPACs), Revue des sociétés, p. 608, (2021).
[2] L’existence des SPACs est attestée aux États-Unis depuis les années 1980 où ils étaient désignés sous le terme de « Blank Check Companies » et étaient seulement admis à la côte sur le Nasdaq.
[3] Antoine Gara, Eliza Haverstock, How SPACs became Wall Street’s money tree, Forbes, (19 novembre 2020), < https://www.forbes.com/sites/antoinegara/2020/11/19/the-looming-spac-meltdown/?sh=18e6b67c70d7 >.
[4] Alors que les IPO traditionnelles durent environ entre six et douze mois, les opérations de fusions prennent environ trois ou quatre mois pour être réalisées.
[5] Rapport/Étude AMF « SPAC : Opportunités et risques d’une nouvelle façon de se coter en bourse », (2 juillet 2021), < https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/spac-opportunites-et-risques-dune-nouvelle-facon-de-se-coter-en-bourse>.
[6] Actualité AMF, « Le cadre juridique français permet d’accueillir les SPAC à Paris tout en veillant à la protection des investisseurs », (15 Avril 2021), < https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/le-cadre-juridique-francais-permet-daccueillir-les-spac-paris-tout-en-veillant-la-protection-des >.
[7] AMF, supra. note 5.
[8] Pour rappel, les actions de préférence sont des titres de capital, « avec ou sans droit de vote, assortis de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent ».
[9] Son mode de fonctionnement permettant de distinguer la détention du capital du pouvoir politique.
[10] Représente classiquement 20% du capital et des droits de vote de la SPAC.
[11] Généralement exerçable pendant une durée de 3 à 5 ans à l’issue de l’opération de de-SPAC.
[12] AMF, supra. note 6.
[13] C.civ., art. 1956.
[14] La pratique américaine prescrit la consultation des investisseurs.
[15] C.com., art. L. 225-35.
[16] C. com., art. L. 228-12.
[17] Sylvain Lambert, L’acclimatation des SPACs en France, Bulletin Joly Société, (Décembre 2011).
[18] AMF, supra. note 6.
[19] Rapport ad hoc Club des Juristes « Paris : Place financière en première ligne pour les SPAC », (Décembre 2021), < https://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/publication-du-rapport-paris-place-financiere-en-premiere-ligne-pour-les-spac-001/ >.
Leave a Reply